Le roman adopte le point de vue de François Vallier. C'est un jeune pianiste qui se produit dans les grandes salles de concert (y compris celle que je fréquente le plus assidûment : la Salle Pleyel). Son programme s'interrompt le jour où il reçoit une lettre d'un infirmier en hôpital psychiatrique dans les Hautes-Pyrénées. Une de ses patientes écoute en boucle ses enregistrements de la musique de Schumann...
Schumann n'est pas un compositeur qui se laisse facilement apprivoiser.
(Je le déteste joyeusement ; on peut considérer comme le narrateur de Quatuor
de Vikram Seth qu'il est le mauvais Schu-
.) Quelques années
auparavant, dans la boutique d'un luthier de la rue de Rome, notre pianiste
avait rencontré Sophie. Elle l'avait interrogé au sujet de Schumann. Après
avoir écouté un de ses enregistrements, elle lui avait dit Mais pourquoi avez-vous peur de Schumann ?
. C'est grâce à elle qu'il
avait finalement réussi à rentrer dans la musique de ce compositeur. Le
lecteur découvrira progressivement au cours de la lecture comment Sophie et
François se sont perdus de vue...
Ce deuxième roman m'a un peu moins plu que le premier de l'auteur. Une
raison est que la narration comporte à mon goût trop de métaphores
musicales. Le ton est donné dès le deuxième paragraphe du roman : Devant
mes yeux, les passants, les terrasses des cafés et les affiches des cinémas
se sont rejoints en une valse lente, et le mouvement s'est accéléré. Je me
suis assis à la table la plus proche. La valse a ralenti.
. L'ensemble
de ces références et clins d'œils musicaux m'a paru artificiel et un rien
sforzando. Si on laisse de côté ces ornementations trop peu
subtiles, il reste une très belle narration dont une qualité, comme dans
Les heures silencieuses, est de ne pas se perdre en bavardages.
Une autre est de construire une personnalité complexe à chacun des
personnages.
Ce roman est certes moins approfondi que ne l'était Quatuor de Vikram Seth qui se passait dans le contexte d'un quatuor à cordes, mais en à peine plus d'une centaine de pages il parvient à aborder un certain nombre d'aspects de la vie d'un musicien soliste. Par exemple, on verra comment un différend artistique peut ou non s'arranger entre le pianiste et un chef d'orchestre (hongrois en l'occurrence).
Peut-être eussé-je adoré ce roman s'il n'avait pas été centré sur Schumann ?
Du même auteur : Les heures silencieuses.
JoëlExtrait :
Et jamais, je crois, je ne l'ai autant aimée que dans ces moments où je la surprenais immergée dans cet univers, intensément attentive, vulnérable. Je réalisais alors combien la musique lui était essentielle, d'une façon charnelle, intuitive, sensible.
Elle avait des rejets, des emballements, des colères, des émerveillements, capable de chercher pendant des heures, parmi les multiples interprétations d'une même pièce, celle qui répondrait enfin à sa perception intérieure.
Quant à moi, la musique de Schumann m'oppressait, je ne pourrais dire autrement. Elle m'était comme une route sans repères, un paysage qui se transforme et s'efface à chaque pas, un pont qui s'effondre sitôt qu'on l'a traversé. D'insoutenables silences, de soudaines dissonances, déchirantes, des répits dont on sait qu'ils précèdent les gouffres. Des explosions de joie naïve et des moments d'une poignante douceur. Je ne pénétrais qu'avec réticence dans ces espaces hantés, incertains, dangereux et sans retour possible. Je demeurais à la lisière de ces lieux dont je devinais la menace, et m'émerveillais de leur beauté. À la différence de Sophie, je voulais rester intact en y pénétrant.
Nos vies désaccordées de Gaëlle Josse - Autrement - 142 pages.
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