Commence alors pour Mario la découverte du paradis… et de l’enfer. Car, comme un petit caillou se glissant entre la chaussure et la semelle, le doute s’installe : Blanca ne va pas tarder à le quitter. Le tout est découvrir quel sera « l’écornifleur » qui va la lui ravir.
Le rêve est trop beau pour être vrai, peut-être.
Alors, quand après une énième séance avec le peintre contemporain en visite à Jaén, Mario découvre l’appartement vide, il se dit que ce qu’il craignait par-dessus tout est arrivé.

Construit de manière circulaire en dix chapitres – le premier s’ouvre sur le soupçon et renvoie au dernier chapitre qui confirme ce que le narrateur pressent – l’essentiel du récit évoque la rencontre improbable entre le fonctionnel conventionnel et l’égérie des peintres contemporains, toujours plongée dans la lecture du supplément culturel de « El Pais ». Mais quand à la fin une belle inconnue revient malgré tout, Mario ne sait plus quoi penser : est-ce bien sa Blanca revenue comme un remords ? ou son double envoyée par Blanca pour le réconforter ?

La femme qui n’était pas Blanca avança vers Mario depuis le fond du couloir, habillée du chemisier de soie verte, des jeans et des chaussures plates de Blanca, lui souriant et fermant à demi les yeux tandis qu’elle s’approchait, des yeux qui avaient la même couleur et le même forme que ceux de Blanca mais qui n’étaient pas les siens, lui souhaitant la bienvenue sur un ton de voix aussi semblable à celui de Blanca que si c’était véritablement elle qui lui parlait

Dans ce magnifique hommage à Flaubert, Antoine Muňoz Molina parvient à découvrir la « passion amoureuse » et son revers : la peur de perdre l’être cher.
Moins connu que d’autres ouvrages, comme L’hiver à Lisbonne, Carlota Fainberg ou Pleine lune - Prix Femina étranger en 1998 – ce court roman aurait pu être édité dans une collection « Polar » puisqu’on reste jusqu’au bout suspendu au soupçon du narrateur quant à l’identité de son épouse.

Du même auteur : L'hiver à Lisbonne, Dans la grande nuit des temps

Alice-Ange

Extrait :

Il se réveilla dans le noir en entendant une clef dans la porte d’entrée et en voyant s’allumer la lumière du couloir. La femme dont il ne savait pas encore qu’elle n’était pas Blanca s’avança vers le séjour avec des pas si semblables aux siens qu’au début, Mario les crut authentiques  mais dans la faible lumière du séjour ses cheveux aussi lui semblèrent authentiques, ainsi que la forme de son visage, le sourire bref et rose de ses lèvres charnues dans lesquelles persistait, pour les délices de Mario, une trace d’épaisseur enfantine. Elle vint vers lui avec un air fatigué, même si elle souriait comme si rien ne s’était passé, elle lui demanda sur un certain ton moqueur ce qu’il faisait dans le noir, et il mit du temps à réagir, en partie parce que les pleurs et le sommeil avaient agi sur sa conscience comme un anesthésique. Il se leva et la prit dans ses bras, et en serrant contre lui son corps, si long et flexible (elle était plus grande que lui, même en chaussures plates), à nouveau ses yeux se remplirent de larmes et il pensa, avec une émotion absolue, involontairement romanesque, qu’il lui pardonnerait tout, qu’il n’allait lui poser aucune question ni lui faire aucun reproche.

En l'absence de Blanca
En l'absence de Blanca de Antonio Munoz Molina - Éditions Points - 124 pages
traduit de l'espagnol par Philippe Bataillon.