Bobby vient de fuguer. Il a quitté l'appartement de son beau-père, Le Gros, et s'est fait prendre en stop par un chauffeur routier.  C'est une grande première pour lui de partir ainsi seul. Il faut dire que Bobby n'est pas un garçon comme les autres...

J'aimais bien qu'il m'appelle mon garçon. Je ne suis plus un petit garçon, c'est ce que Maman me répétait toujours, j'ai trente et un ans, mais j'aime bien qu'on m'appelle mon garçon. C'est peut-être que les années ont passé plus vite sur moi que pour les personnes ordinaires. Je ne suis pas ordinaire, et je ne suis pas vraiment un garçon. J'ai trente et un ans. Je devrais être un homme, mais je me sens comme un petit garçon.

Avant même de vous parler de l'histoire, il me faut donc vous parler de ce narrateur si singulier. Bobby a été victime dans son enfance d'un accident de voiture et son cerveau n'a depuis que peu évolué. Il ainsi resté « bloqué » à l'âge de raison, à cette période de la vie où tout reste à découvrir et où l'on porte regard naïf et confiant sur le monde qui nous entoure. Bobby est donc ce grand garçon de 31 ans qui a du mal à appréhender la complexité de notre société.

Quand le récit commence, Bobby est dans un camion en direction des Cornouailles, quand tout à coup le chauffeur fait une sortie de route après avoir tenté d'écraser volontairement un lapin.

Le routier, lui avait des plaies, il émettait des bruits. Des gargouillis. Il était déchiré partout, pas uniquement ses vêtements, mais lui-même. Il était étendu dans l'herbe, les bras et les jambes complètement tordus, mais il avait les yeux ouverts et il me regardait. On est censé aller voir et aider les gens quand il y a eu un accident. C'est ce qui venait d'arriver, voyez-vous, un accident, et j'allais l'aider, quand j'ai vue le petit homme.

Ce petit homme, Monsieur Summers a une drôle d'activité : il enterre tous les petits animaux écrasés par les chauffards. Ne sachant où aller, Bobby décide de le suivre et d'apprendre son métier. Se forme alors un étrange binôme, vivant au jour le jour, dormant dans la forêt et vivant plus éloigné possible du reste de l'humanité. Mais le Gros, le beau-père de Bobby, ne l'entend pas tout à fait de cette façon.

C'est un très court roman, premier et unique roman de Walker Hamilton, mort juste après la publication en 1968. Et l'on se dit à la lecture de ce récit que si le destin en avait voulu autrement, Walker Hamilton ferait aujourd'hui partie des grands auteurs écossais reconnus de par le monde. Il y a en effet dans l'écriture d'Hamilton un mélange de candeur et de cruauté tout à fait singulier. Son narrateur y est évidemment pour beaucoup, mais il y a également une façon de croquer le monde et ses aberrations tout à fait réjouissante. Une lecture à savourer sans attendre, et à prolonger sans doute par l’adaptation cinématographique de Jerry Thomas.

Laurence

Extrait :

Nous avons acheté beaucoup de fromage en ville et maintenant il en émiettait en petits tas, loin des lits. Je lui ai demandé pourquoi il faisait ça et il m'a répondu que c'était pour les souris.
Des souris !
Ça me rappelait des tas de choses et c'était comme si je riais et pleurais en même temps.
- Tu vas bien mon garçon ?
Il avait dû voir sur mon visage.
- Oui. Je vais bien, monsieur Summers. Vous donnez à manger aux souris tous les soirs ?
- À chaque fois que je suis ici, répondit-il. Si je leur donne à manger, alors elles n'ont pas besoin de me voler des choses. D'habitude, les gens tuent les souris quand ils ne veulent pas qu'elles volent, mon garçon, mais moi je les nourris. Maintenant je vais éteindre les lampes. Il est grand temps de dormir. Bonne nuit mon garçon.
- Bonne nuit, monsieur Summers.

Tous les petits animaux
Tous les petits animaux
de Walker Hamilton - Éditions 10-18  - 136 pages
Traduit de l'anglais (Écosse) par Jean-François Merle