En revanche, ce qu'ils trouvent en arrivant, nul ne les y avait préparés…
Au milieu du siècle, à un tournant de son histoire, New York est comme toutes les grandes métropoles. Avide d'âmes, cruelle et violente, sans lois, sans maître. Mais une religion domine et en son nom, on commet les pires atrocités. Le protestantisme qui s'épanouit en Amérique se nourrit de la haine contre les catholiques. Et cette haine va se déployer contre les irlandais qui viennent en masse prendre le pain des "honnêtes citoyens".

Dans ce contexte précis, la municipalité décide de se doter d'une vraie force de police. Apparaît alors ce qui va devenir la première véritable enquête de police pour la ville et le baptême du feu pour ceux que l'on va appeler dans la rue "les flics à l'étoile". En face, le mal se dresse. Il s'est baptisé le Dieu de New York et sème la mort sur son passage. Le Dieu vengeur des catholiques…

Voici le premier roman publié en France de LIndsay Faye. Et c'est une sacrée claque !
Certes, il s'agit d'un polar. Un vrai, glauque, avec un héros torturé et une histoire qui fait se poser des questions la nuit quand on a osé fermer le livre et éteindre la lumière pour dormir... Enfin, dormir... essayer de dormir. Sans être un réel page-turner, ce roman n'en est pas moins prenant. A tel point que plonger dedans c'est se retrouver en apnée à New York, il y a 150 ans.

Sur leur plaquette de présentation, les éditeurs n'ont pas hésité à établir la comparaison avec le film Gangs of New York de Martin Scorsese qui se passe sensiblement à la même époque. En tout cas le visuel du film colle parfaitement aux ambiances dépeintes dans ce roman. L'autre comparaison qui, elle non plus, n'est pas usurpée, est celle faite avec L'Aliéniste de Caleb Carr. Un autre excellent roman sur les tout débuts de la psychologie criminelle et du profilage dans le courant des années 1900. C'est plus tard, mais là encore les ambiances et le ton sont semblables. D'autres pistes, donc, pour s'immerger dans cette histoire sordide.

Le lecteur suit tout le long du roman les péripéties de Timothy Wilde, ex-barman qui intègre bien malgré lui le désormais célèbre NYPD qui vient alors juste d'être créé. Ce récit à la première personne, établi comme une confession du policier sur les terribles événements qui se sont déroulés durant cet été 1845 prend alors une dimension très personnelle dans le style et la forme.
L'auteur, par ce biais, réussit le tour de force de développer une intrigue policière sérieuse basée sur des faits réalistes dans un contexte extrêmement tangible et historique, dépeint comme un témoignage d'époque. Ainsi, le policier s'offusque de l'attitude raciste de ses compatriotes, déplore la destruction de tel bâtiment ou au contraire l'érection d'un autre qui gâche le paysage. Il y va de son petit mot pour décrire le quotidien des pauvres bougres des bas-quartiers, dépeint une société en pleine mutation, des idées qui se télescopent, des corporations qui cherchent leur place.

Bref, c'est un véritable travail d'orfèvre qui a été réalisé ici. Avec deux petit bonus supplémentaires&nbsp: d'abord les têtes de chapitres sont toutes accompagnées d'un extrait de texte dépeignant l'un des aspects de la vie ou la perception des contemporains (extraits de journaux, de discours, lettres…) sur leur époque. Et en fin d'ouvrage, une annexe historique nous précise les éléments réels et ceux imaginés. Enfin, le roman s'agrémente d'un lexique d'argot du XIXe siècle. Fort utile d'ailleurs, puisqu'une bonne partie des dialogues utilise ce langage imagé.

Pour le reste, l'écriture est fluide, les personnages consistants et sinon attachants, du moins sympathiques. Timothy Wilde emprunte beaucoup à Sherlock Holmes pour son don d'observation et son esprit très cartésien, mais sans sombrer dans la caricature. La sauce prend dès le départ et vraiment on ne regrette pas.

Le Dieu de New York est un roman rare, complet, fascinant à plus d'un titre et qui peut aisément être transposé dans notre actualité sur les plans de la morale et de la religion au moins. Un vrai coup de cœur qui se savoure et se partage.

Cœur de chêne

Extrait :

Dès qu'elle a aperçu une brèche dans le flot incessant des voitures et des chevaux luisants, elle s'y est engouffrée comme un papillon de nuit sortant de l'ombre, regrettant de ne pas être invisible pour traverser la grande artère. Ses pieds nus s'enfonçaient dans la crasse visqueuse, semblable à du goudron, qui s'accumulait au-dessus des pavés, et elle a trébuché sur un épi de maïs à demi rongé.
Son cœur a bondi dans sa poitrine en un sursaut de panique. Si elle tombait, ils la verraient et tout serait terminé.
Les autres gosses, ils les ont tués vite fait ou en prenant leur temps ?
Mais elle s'est redressée. Les lumières des voitures réverbérées sur mille plaques de verre étaient à présent derrière elle, et elle filait à nouveau. Dans son sillage, elle laissait quelques soupirs de fillette et un cri d'alarme.
Nul ne la pourchassait. Ce qui n'est guère étonnant dans une ville de cette taille. C'était là l'expression de l'inhumanité de quatre cent mille personnes mêlées en une masse d'indifférence bleu-noir. Je crois que c'est pour ça que nous existons, nous, les flics à l'étoile… Nous sommes les seuls à nous arrêter pour regarder ce qui se passe autour de nous.

Le dieu de New-York
Le Dieu de New York de Lyndsay Faye - Éditions Fleuve Noir - 518 pages
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Carine Chichereau.