Tout commence avec la nouvelle titre. Le narrateur, un jeune garçon s'interroge sur le respect de la religion. Normalement, vu son âge il n'est pas dans l'obligation de suivre le ramadan. Mais pour montrer qu'il est devenu grand et surtout pour impressionner la belle Sofiane, dont il est secrètement amoureux, il décide de suivre la règle. Mais qu'il est difficile de concilier la faim, la fierté face à une fille délurée qui sait monter dans les cerisiers, qui vous prend pour un enfant et les principes de la religion !

Le fil rouge entre ces nouvelles est bien la vie de quartiers d'une ville de province, dans les montagnes, loin d'une grande vile. On y vit presque en vase clos, tout le monde connaît tout le monde. De plus, le quotidien des familles est très imprégné par la religion. Elle est partout, omniprésente. Sous le couvert du regard innocent d'un enfant, du moins sur les trois premières nouvelles, l'auteur pointe les interrogations que cette omniprésence peut susciter chez les enfants.
Par exemple, Dieu, sur quoi jure-t-il ? Le pain, les figues ou les olives que l'on ne connaît pas dans ce village (Les yeux bleus de tonton Assad). Et puis pourquoi n'avoir pas expliqué au gamin la signification de cette fête chiite annuelle qui fait tant pleurer les adultes ? (Comment ils font, eux, pour pleurer ? ).
Si on affiche une grande piété, dans le fond des cœurs, dans les actes, même les tabous sont chahutés. On n'hésitera pas à voler et profaner le cadavre d'un oncle incestueux (La lune brillait sur le cimetière) ou bien à enlever un homme, le tuer et l'enterrer au milieu du désert, sans aucune raison apparente (L'homme dont la tombe était perdue).

Pour raconter tout cela, l'auteur utilise un style parlé, comme celui utilisé par les enfants. Si sur les deux ou trois premières nouvelles, ce style passe bien parce que soutenu par la fraîcheur de l'enfance, à la longue et sur les autres nouvelles impliquant principalement des adultes, cela perturbe un peu. Ceci est accentué par la multiplicité des personnages. L'auteur met en scène des personnages différents mais souvent portant le même nom ou prénom. Le lecteur ne sait finalement pas s'il a à faire au même gamin ou bien un autre, au même adulte ou pas. L'auteur, délibérément ou pas, joue sur l'instabilité, l'insécurité.

Curieuse lecture où la violence monte de plus en plus en puissance. C'est surtout l'incompréhension face à cette violence allant de la flopée de jurons, superstitions, malédictions, rancœurs journalière aux considérations abusées d'un sniper (Une longue colonne de fourmis) en passant par l'abandon d'une vieille prostituée par ses vieux clients (Et quand est-ce que les hommes rentrent de l'enterrement ? ). La lecture de l'ouvrage, pourtant pas désagréable, se termine avec un soupir de soulagement. On est content d'en finir avec cette violence, de s'échapper de cette ambiance oppressante où la mort n'est jamais très loin.

Ce curieux recueil de nouvelles intrigue beaucoup. Et donne envie d'en savoir plus sur l'univers de cet auteur jusqu'ici inconnu. Est-ce que sur un roman, avec des personnages moins changeants, l'histoire tiendra plus solidement sans fleureter avec le risque de perdre totalement ses lecteurs ? Affaire à suivre.

Dédale

Extrait :

Restait à savoir ce que c'était que cette olive sur laquelle Dieu prêtait serment. Moi, quand je jurais, c'était sur le pain. La plupart des gens aussi, ils jurent sur le pain. Kerbelayi Ayyaz, lui, il jurait sur le riz. Il disait : « Je le jure, sur le riz », il plongeait la main dans un des sacs de riz de notre magasin, il en prenait une poignée et il disait : « Voilà, je le jure, au nom de Dieu, sur ce riz-là. » Apparemment, Dieu, Lui, c'est sur les figues qu'Il jurait. « Pas par les figues séchées du magasin », disait Raana. Vu que Dieu, c'est avec des fraîches qu'il faisait serment. Moi, des figues comme Raana disait, je n'en avais jamais vu. Elle racontait qu'une de ses amies lui en avait apporté une fois. Et me décrivait comment c'était. Mais moi, je n'en avais pas eu. Moi, je n'avais goûté que les figues qu'on avait au magasin, des figues séchées avec des asticots dedans, petites et noiraudes. Parfois, les clients qui voulaient en acheter, ils commençaient par en prendre une, ils l'ouvraient et, quand ils voyaient les asticots à l'intérieur, ils refusaient d'en acheter. Mon père, lui, il arrivait quand même à les vendre. Il disait : « Ils n'y sont pas venus du dehors, les vers, dans les figues, ça fait partie du fruit. Et cette petite chose qui la mange, la figue, eh bien, c'est la figue elle-même ! «  Puis il en prenait une, il se la fourrait dans la bouche et il la mangeait. Moi, j'aurai bien aimé pouvoir jurer par l’olive et par la figue. Quand il avait parlé, tonton Assad, du serment sur l’olive, ça m'avait beaucoup plu. J’aimais bien aussi l'idée de serment, c'était mieux que jurer. Pendant plusieurs jours, je suis resté à l’affût du premier prétexte pour l'utiliser, d'une manière ou d'une autre, ce nouveau serment que je venais d'apprendre. J'attendais l'occasion, mais elle ne venait pas.

Une cerise pour couper le jeûne
Une cerise pour couper le jeûne de Hafez Khiyavi - Éditions Serge Safran - 183 pages
Traduit du persan (Iran) par Stéphane A. Dudoignon.