Erlendur revient à Eskifjördur, les terres de son enfance, dans la ferme où il a vécu enfant, aujourd’hui livrée à l’abandon.
Au cours d’une séance de chasse avec le paysan Boas il évoque deux disparitions qui ont eu lieu dans les fjords de l’Est.
Matthildur, la femme de Jakob, s’est perdue une nuit de tempête de janvier 1942 en allant voir sa mère sur le chemin qui franchit les failles de Hvalfjördur. Cette même nuit, un groupe d’une soixantaine de soldats britanniques empruntait le même chemin en sens inverse pour relier Eskifjördur par les mêmes failles. Victimes d’une tempête ils ont été pris par la montée des eaux des rivières gonflées par la pluie.

Or les soldats n’ont jamais croisé Matthildur. Tous les soldats ont été retrouvés, morts ou vivants, mais le corps de la jeune mariée, jamais.
Mais cette disparition fait écho à une seconde histoire dont la blessure est encore vive dans le souvenir du policier. Une nuit de tempête de neige, alors qu’Erlendur avait dix ans, son père, son frère et lui ont été pris dans le blizzard sans pouvoir se repérer dans la montagne. Erlendur a été rattrapé par les secours, son frère Berggi jamais.
Erlendur va donc rouvrir l’enquête sur la première disparition, sans que rien ne soit officiel, sur des faits qui remontent loin dans le passé.
L’histoire de Matthildur s’éteindra en même temps que les vieux comme moi, murmure Boas pendant la chasse. Pas sûr compte tenu de l’entêtement du policier.

Au fur et à mesure de ses rencontres – Hrund, la sœur de Matthildur, l’institutrice qui ne s’est jamais résolue à ne pas retrouver le corps de sa sœur, Ezra, le meilleur ami de Jakob le pêcheur, ou les enfants des protagonistes de l’époque –, Erlendur va jouer de finesse pour déterrer des souvenirs qui remontent loin dans le passé. Mais le plus intéressant n’est pas là.

En alternant le récit de l’enquête sur la disparition de Matthildur et le récit douloureux de la nuit de tempête de l’enfance d’Erlendur, Indridason construit un roman qui n’est pas que policier.
Il y donne libre cours à des thèmes qui lui sont chers : les « squelettes vivants », ces disparus qui continuent à nous hanter bien après leur disparition sous terre, la perte et l’abandon que ressentent ceux qui restent, le passage du temps et ses ravages… ou ses effets bénéfiques.

Le présent est un drôle d’animal déclare Hrund dans l’un de ses échanges avec Erlendur. Déterrer des souvenirs et connaître le secret du passé, peut-il consoler les survivants ? C’est toute la question que pose  Étranges rivages. Et si Erlendur parviendra en définitive à obtenir la preuve de ce qui s’est passé, ce n’est pas tant cette histoire policière qui nous intéresse que la quête d’un homme qui fouille désespérément dans son passé personnel, qui revit sans arrêt les mêmes cauchemars, un personnage inconsolable de grand-frère qui n’a pas su protéger son petit frère.

Un roman sur la nostalgie et sur la perte, émouvant, qui, en plus d’être une bonne enquête policière, se révèle un très beau roman sur la solitude humaine.

Du même auteur : La femme en vert, Hiver arctique

Alice-Ange

Extrait :

Autour de lui, il fait froid, il fait noir. Des pensées, des silhouettes et des événements passés lui traversent constamment l’esprit sans qu’il puisse rien y faire. Il a énormément de peine à distinguer les lieux et les époques. Il est partout et nulle part en un seul et même instant.
Allongé dans sa chambre, il est envahit par un calme étrange après cette piqûre. C’est en vain qu’il continue de lutter. On dirait que le sang cesse de couler dans ses veines et ses pensées se perdent dans le brouillard.
Le médecin lui explique ce qu’il va faire, mais il l’entend à peine. Il se débat et crie tout ce qu’il peut jusqu’au moment où on l’attrape pour le remettre dans le lit. Le médecin suggère à mi-voix une solution à sa mère qui hoche la tête d’un air résigné. Il aperçoit la seringue entre ses mains, sent la douleur de la piqûre qui entre dans son bras et calme peu à peu.
Assise sur le bord du lit, sa mère lui caresse le front. Elle a l’air infiniment triste et il ferait n’importe quoi pour mettre fin à sa mélancolie.
- Tu peux nous dire quelque chose sur ton frère ? murmure-t-elle.

Étranges rivages
Étranges rivages de Arnaldur Indridason – Éditions Métaillié – 300 pages
Traduit de l'islandais par Eric Boury