Se tatouer est une pratique ancestrale, qui est aujourd'hui très prisée. Utiliser son corps comme une toile pour y exprimer ses pensées profondes, ses émotions est presque devenu banal. Mais pour le narrateur, un tatouage ne doit pas être pris à la légère : il révèle une partie intime de l'individu.

Cela fait longtemps qu'il pense à se faire tatouer. Mais l'interdit familial, puis l'idée qu'il puisse se tromper de motif, le retiennent. C'est lors d'un voyage en Italie, dans un musée d'antiquités, qu'il trouve la phrase qu'il souhaite imprimer sur son corps : "vulnerant omnes, ultima necat". "Toutes blessent, la dernière tue". Cette phrase, gravée sur les cadrans solaires, le touche, lui parle. Il décide de la faire sienne, de la porter sur sa poitrine.

Il fait appel à Dimitri. Ce tatoueur, taiseux et appliqué, est un ami proche. Depuis plusieurs années, il dessine pour Dimitri des modèles qui seront ensuite proposés aux clients. Le tatouage est un moment important : Dimitri met à l'aise son ami et trace sur sa poitrine la phrase, l'ensemble dessinant une croix. Tout le monde semble satisfait, mais ce tatouage ne sera pas une simple ornementation.

A partir de cette intrigue initiale, Stéphanie Hochet signe un ouvrage touchant, charnel et fantastique. Par le tatouage, le corps est au cœur du récit. Souvent, on aperçoit le narrateur s'inspecter, se toucher, penser à cette nouvelle part de lui, refusant de dévoiler cette part de son intimité à autrui. Peu à peu, il découvre sa poitrine, notamment à celles qui partagent des nuits avec lui.

Mais le tatouage semble avoir des pouvoirs magiques, prenant presque possession du corps sur lequel il est dessiné. Certains mots de ce dernier disparaissent, et ce qui arrive dans la vie du narrateur est trop extraordinaire pour n'être que le fait du hasard. Pourquoi retourne-t-il voir son premier amour ? Et qui est vraiment Dimitri, cet homme à qui il se confie mais qui ne partage rien en retour ?

Outre ce récit aux frontières du fantastique, Stéphanie Hochet signe un ouvrage qui traite d'une question existentielle : que laisse-t-on de soi ? Comment faire pour laisser une trace, et laquelle ? Dans ce petit ouvrage (par la taille mais non par la force du texte) l'écriture est acérée et permet de donner vie à ce personnage, cette ombre, tout en interrogeant le lecteur sur son rapport au présent et à l'existence. Une lecture marquante.

Du même auteur : Éloge du chat, Combat de l'amour et de la faim

Yohan

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Extrait :

Sensation vague dans un demi-sommeil que ma main palpe l'endroit du tatouage, résurgence d'une pensée souterraine et inquiète. Le lendemain matin, je me douche sans regarder l'endroit, et file dans une pièce sans miroir où je peux me sécher en paix.
Je passe les jours qui suivent à faire comme si je n'y pensais pas, à l'éviter avec une précaution qu'on emploierait pour ne pas déranger un prédateur dans la jungle. Et si je suis dans un lieu public, j'ai l'impression que des gens, ils sont plus nombreux qu'avant, m'observent. Et leurs yeux s'attardent, semble-t-il, sur cette partie de mon anatomie, comme si mes vêtements ne pouvaient pas totalement la dissimuler.

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Sang d'encre de Stéphanie Hochet - Éditions des Busclats - 97 pages