C'est donc Daniel Pantchenko qui s'est attaqué à cette délicate tâche. Compilant témoignages et interviewes, il revient sur le destin extraordinaire de cette grande dame.

Tout commence par l'enfance évidemment... mais celle d'Anne Sylvestre se situe entre deux rives. Aimée et choyée, elle comprendra très vite que son père n'a pas fait le bon choix et portera en secret cette blessure pendant de longues années. Sans doute est-ce la partie de la biographie qui m'a le plus interrogée : comment faire quand on a l'impression d'être née du mauvais côté ? Comment se débarrasser de ce sentiment d'illégitimité ? Peut-être en prenant sa guitare et en traçant son chemin de mots. C'est ce que fera Anne Sylvestre dès 1957. Remarquée dès le début par Georges Brassens (à qui on la comparera des années pour son grand agacement) et par la presse professionnelle, Anne Sylvestre n'aura pourtant jamais droit aux grâces des médias. Rarement invitée à la radio, encore moins à la télé.

C'est cet incroyable paradoxe qui est ici d'abord mis en avant : alors qu'Anne fait salle comble à chacun de ses concerts, les journalistes radio et télé semblent la redécouvrir de temps à autres et s'étonnent qu'elle chante encore...

Et puis bien sûr, la lecture de cette biographie nous permet de redécouvrir quelques unes de ses plus belles chansons : Les gens qui doutent, Sur mon chemin de mots, Non tu n'as pas de nom, etc.. Je ne les énumérerai pas toutes, la journée n'y suffirait pas. Daniel Pantchenko s'attarde plus particulièrement sur certaines d'entre elles pour dévoiler les non-dits ou revenir sur l'impact qu'elles ont pu avoir sur plusieurs générations. Car si Anne Sylvestre a toujours refusé le terme de chanteuse engagée, elle a su comme nulle autre mettre en mots les combats des unes et des autres. Féministe sans doute, humaine sans conteste : ce sont toujours par l'intermédiaire des histoires individuelles qu'Anne Sylvestre a défendu des causes universelles. Et c'est cette façon si particulière, d'entrer par la petite porte, qui donne tant de force aux chansons d'Anne Sylvestre. Mais n'allez pas croire pour autant que la dame se prenne au sérieux : écouter Anne Sylvestre c'est d'abord rire et sourire. Avec un humour ravageur, elle met à mal nos moindre travers et s'amuse avec nous de nos petits malheurs.

Si l'exercice de la compilation de témoignages a ses limites et si j'aurais préféré un travail d'écriture plus accompli, il n'en reste pas moins que j'ai lu avec beaucoup de plaisir cette biographie et qu'en fermant l'ouvrage, je n'avais qu'une envie : réécouter toute l'œuvre d'Anne Sylvestre ! Et pour les chanceux qui vivent à Paris, sachez qu'elle sera le 15 mai au Casino de Paris.

Laurence

Extrait :

On pourrait citer plusieurs autres articles, tant la presse écrite salue déjà [1962], en pleine période yé-yé, l'originalité d'Anne Sylvestre, à l'instar de Paul Carrière, du Figaro (l'un des rares critiques de l'époque à se soucier systématiquement des premières parties), qui, déçu par le « tour de chant hétérogène » de Jean-Claude Pascal, consacre plus de la moitié de sa chronique à la chanteuse : « L'intérêt du spectacle se concentre autour de la modeste "vedette anglaise", Anne Sylvestre. Il est presque inconcevable qu'un tel auteur-interprète, toujours présent depuis trois ans dans les cabarets où règnent la bonne chanson, n'ait pas été appelé au music-hall. Avec cette artiste qui apparaît sous l'aspect décoiffé d'une demi-sauvageonne, on est tout de suite dans le rare domaine de la poésie la plus vive et la plus sensible. Un poésie qui semble toute naturelle. Je ne connais guère d'auteur qui possède un plus grand bonheur d'expression. »

Anne Sylvestre
Anne Sylvestre "Et elle chante encore ?" de Daniel Pantchenko - Éditions Fayard - 476 pages