Pour Lafargue, Hugo est un homme a multiples facettes. D'abord, c'est un opportuniste politique qui n'a pas hésité à retourner sa veste en fonction des événements. Monarchiste revendiqué dans sa jeunesse, Lafargue imagine que Hugo est un idolâtre de Napoléon non assumé. Après le soutien à la monarchie de Charles X puis de Louis-Philippe, Hugo soutient le Seconde République, tout en dénonçant fermement et sans aucune ambiguïté les mouvements ouvriers, réprimés violemment par les forces de police. Enfin, on connait le combat de Hugo contre Napoléon III, mais là encore, selon Lafargue, cette opposition confère à Hugo un statut d'exilé favorable à la construction de sa légende, ce qui enchante ce dernier.

Plus que la girouette politique, Lafargue dénonce le manque de conviction de Hugo et son manque de soutien au peuple. Le premier point concerne l'aspect financier. A plusieurs reprises, Lafargue évoque la richesse de Hugo, obtenue notamment par des rentes demandée au roi. Le problème, pour Lafargue, c'est que Hugo n'a jamais mis cet argent au service du peuple qui luttait pour améliorer ses conditions de vie. Autre reproche fait à Hugo, sa détestation du petit peuple et des pauvres. A l'aide de citations du journal qu'il a crée, L'événement (pour soutenir Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III, aux élections de 1848), ou de passages des Misérables, Lafargue soutient que l'auteur a une haine profonde des pauvres et que son ambition première est la défense de la propriété, en dehors de toute autre considération politique.

Bien entendu, comme tout pamphlet qui se doit, cet ouvrage est empreint d'une certaine mauvaise foi que Lafargue utilise pour étayer son propos. Car il faut bien être conscient de la séparation idéologique des deux hommes : alors que Hugo est devenu un républicain bourgeois, défenseur de la troisième République, Lafargue est situé bien plus à gauche, aux côtés de Proudhon, aux côtés de ceux qui ont toujours été écartés de la vie publique et sanctionnés pour leurs idées. Lafargue est le gendre de Marx, dont il a été l'assistant avant d'épouser sa fille. Et dans ce pamphlet, c'est finalement cette opposition politique qui est la  plus flagrante.

Yohan

Extrait :

Il avait dans son aveugle emportement lancé des déclarations si catégoriques, et pour son malheur elles eurent un retentissement si considérable ; il avait marqué les hommes du coup d’État de vers si cuisants, qu'il était impossible de les faire oublier ; il lui fallut rester républicain et renoncer à la politique ; il jugea qu'il valait mieux accepter bravement le rôle de martyr de la République, de victime du Devoir. Le rôle séduisait sa vanité. S'il n'était pas né dans une île, ainsi que Napoléon, il allait vivre exilé dans une île ainsi que lui. Imiter Napoléon, devenir le Napoléon des lettres, berça l'ambition de toute sa vie.

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La légende de Victor Hugo
de Paul Lafargue - Éditions Mille et une nuits - 88 pages