Dresde est une golem. Une vraie.
Rien à voir avec les frêles agolems de la cité qui s'occupent des tâches quotidiennes et que l'ont voit déambuler en pleine rue.
Non, Dresde est d'une espèce bien plus ancienne. Et quand Saxe la fait sortir de son sommeil par inadvertance, elle décide de l'épauler. Car plus rien ne la retient chez son maître. Son maître qu'elle attend depuis plusieurs siècles.
Saxe est comme tous les humains, chétif, peureux, corps mou, trop facilement mis hors de combat, voire tué.
Pourtant, quelque chose en lui, peut-être la confiance, peut-être la foi, l'incite à l'accompagner et à chercher un moyen de sortir de la cité.

La cité est une entité mystérieuse que les âges ont façonnée par couches successives. Chaque couche se posant sur la précédente, condamnant l'accès des autres et toute possibilité de sortir. Les habitants y vivent en autarcie, aidés par les agolems. Mais depuis longtemps le secret de leur fabrication s'est perdu. Les hommes ne savent plus que réparer, et encore, pas toutes les parties du corps.
Et dans cette ville sans avenir, où tout périclite doucement, Saxe rêve de s'évader et de voir enfin le soleil, de respirer un air non vicié et de pouvoir être libre.

Malheureusement, leur rêve d'évasion passe par l'affrontement avec une entité ancienne. Presque aussi vieille que la cité. Pue-la-viande ne laissera personne lui échapper. Dès lors, il faut courir, fuir en avant et survivre. Peut-être.

Justine Niogret, déjà remarquée dans le petit monde de l'imaginaire pour ses précédents romans, tente ici une incursion dans la littérature jeunesse.
"Tente", car malgré tout, Justine Niogret reste fidèle à elle-même et à son style bien marqué. Et fait du Justine Niogret. Un peu édulcoré certes, mais sans doute pas suffisamment pour une vraie littérature jeunesse.

L'histoire est assez linéaire. Les deux personnages que sont Saxe et Dresde n'ont qu'un but : sortir de la ville. En face, Pue-la-viande est leur principal ennemi. Une fois posé ça, il y a peu à rajouter. Car tout le reste est plutôt nébuleux. On devine l'univers par petites touches successives. On en apprend progressivement plus sur Saxe, puis sur Dresde. Même Pue-la-viande se confie afin que le lecteur cesse de s'interroger. Mais le tout est sans doute trop distillé. Pour un roman jeunesse on s'attendrait à ce que les éléments s'enchaînent plus rapidement.

Quant au décors, on ne sait rien. Du moins, pas grand chose. Il faut apprendre, à travers l'histoire des personnages, à lire entre les lignes et à comprendre les tenants et aboutissants de leurs actions. Rien n'est clair. Tout l'ouvrage fonctionne en demi-teinte, même au niveau du caractère de Saxe (qui est en réalité le seul personnage "pensant" de l'histoire). Rien n'est acquis, si ce n'est la nécessité d'échapper à Pue-la-viande pour rester en vie.

Il est délicat de parler du style de l'auteur. Justine Niogret. Ce nom seul suffit à tout dire. Le ton est sec, froid parfois. Les descriptions réduites au strict minimum. Pas d'images déplacées ou de lyrisme inutile. Mais la surprise vient du fait que l'ensemble se lit bien, de manière assez agréable même, malgré parfois la rudesse des propos. C'est sans doute ce qu'il est possible de reprocher à l'ouvrage. L'aspect violent de certaines scènes, à la limite du gore. Encore une fois, ce n'est pas étranger au style de l'auteur. Au contraire, c'est presque une marque de fabrique. Mais cela peut choquer dans le cadre de la littérature jeunesse. Ce qui en fait un roman à ne pas mettre entre toutes les mains et à conseiller plutôt à des ados.

Au final, un roman unique (one-shot) qui se lit plutôt bien. Sans doute pas le roman phare de la collection Pandore, la nouvelle collection jeunesse du Pré aux Clercs, mais un roman de bonne facture malgré tout, qui tient la route et confirme le talent de l'auteur. A conseiller à un lectorat jeunesse plutôt averti quand même.

Cœur de chene

De la même auteur : Chien du Heaume

Extrait :

Avant ce soir, Pue-la-Viande mangerait la terre. il le savait d'avance, le sentait.
Il en avait une si grande envie qu'elle en était douloureuse. Comme une fièvre dans ce qui lui servait de nerfs ; dans ses tendons d'acier vrillé, ses tresses de câbles fins comme des cheveux, impossibles à casser. Ils en tremblaient presque.
Manger la terre.
Pas exactement. Pue-la-Viande la fourrerait dans sa bouche, à grandes pelletées de ses mains cassées. Ses doigts tenaient encore ; l'ossature métallique, les rouages des articulations. Mais la céramique cuite, tout autour, était fendillée, craquelée comme la coquille d'un œuf dur tombé par terre. Ça grinçait. Des os dans une fracture ouverte.
Parfois, il ne sentait rien avant de chasser. Aucun tremblement. Aucune envie. Parfois, il n'était pas sûr. De lui, de ses coups, du résultat à venir. Mais là, aujourd'hui, il n'hésitait même pas. Il en aurait eu des vertiges s'il avait été humain.
Le golem ne pouvait pas avaler, ingérer le sable et les blocs de terre, les caillots agglomérés par les fausses pluies de dix-sept heures neuf - toujours la même heure, toujours la même pluie.
Son gosier était là en trompe-l'œil. Il parlait, criait, grondait, mais ne pouvait rien avaler. Sauf les perles, bien entendu, et les rares souvenirs glauques qu'elles libéraient une fois mangées. Souvenirs d'autres golems, d'autres époques, d'autres maîtres. Des souvenirs douloureux, acides comme des citrons verts.
Mais ça, Pue-la-Viande n'avait pas envie d'y penser, pas tout de suite.

Coeurs de rouille
Cœurs de rouille de Justine Niogret - Éditions Le Pré aux Clercs - 272 pages