Tony n'a pas eu une vie très enthousiasmante. Pourtant, au lycée, entouré de ses camarades Colin et Alex, la vie semblait leur sourire. A l'époque, leur amitié est forte et leurs résultats scolaires sont bons et leur permettent d'être assez légers. Avec l'arrivée d'Adrian, jeune homme charismatique et assuré, leur groupe s'agrandit. La puissance qui émane du nouveau venu leur donne du courage et c'est avec beaucoup de malice et d'ironie qu'ils poursuivent leurs études.

C'est également l'époque pour les jeunes garçons de démarrer leur vie amoureuse et sentimentale. Pour Tony, la fille qui l'attire irrésistiblement est Veronica. Mais  elle triche avec lui : elle s'amuse de son appétit sexuel, refusant à plusieurs reprises d'aller au bout de la relation après avoir joué avec lui. La rencontre avec la famille de Veronica est également un moment douloureux. Si Tony ressent de l'amitié dans le regard de la mère de Veronica, les regards de son père et surtout de son frère sont beaucoup moins bienveillants. La relation tourne assez vite court.

Tony poursuit ses études à Bristol, et comme souvent dans ce cas, les relations amicales se distendent. C'est par courrier qu'il apprend qu'Adrian est en couple avec Veronica. C'est aussi un peu par hasard qu'il apprend qu'Adrian s'est suicidé. A soixante ans, cette histoire lui paraît lointaine, mais elle est brusquement ravivée par un testament, celui de la mère de Veronica. Tout cela le fait replonger dans cette histoire qu'il aurait préféré oublier.

Face à ce testament, Tony replonge dans ses souvenirs : sa relation avec Veronica, sa première rencontre avec ses parents, l'histoire d'Adrian et son suicide. Il se fie à ses souvenirs, à sa mémoire, mais se rend vite compte, preuves à l'appui, qu'il a oublié des éléments très importants. Le roman, sous les airs d'une histoire simple, est une plongée passionnante dans les méandres des souvenirs, ceux qui restent mais surtout ceux qu'on oublie. Tony est directement confronté à ses propres lacunes, à la petitesse de son comportement en certaines occasions. Une petitesse qu'il a confortablement enfouie, ne gardant que les moments qui le mettent en valeur. Le roman est très bien construit et servi par l'écriture toujours léchée de Julian Barnes. Avec au cœur du récit un personnage principal attachant et des personnages secondaires pour lesquels le lecteur est bien obligé de changer d'avis en cours de lecture.

Autre ouvrage de l'auteur : Le perroquet de Flaubert

 Yohan

Extrait :

Je ne veux pas donner l'impression que tout ce que j'ai fait à Bristol, c'était travailler et voir Veronica. Mais peu d'autres souvenirs me reviennent. L'un d'eux est celui d'un événement bien distinct : la nuit où j'ai vu le mascaret de la Severn.Le journal local publiait un tableau indiquant où l'on pouvait le mieux assister au phénomène, et quand. Mais la première fois que j'ai tenté ma chance, l'eau n'a pas semblé disposée à obéir à ses indications. Puis, un soir, à Minsterworth, un petit groupe d'entre nous a attendu sur la berge jusque après minuit et a fini par être récompensé. Pendant une heure ou deux, on a regardé le fleuve couler sagement vers la mer comme le font tous les bons fleuves. Au clair de lune intermittent s'ajoutaient parfois les faisceaux de quelques puissantes torches électriques. Puis il y eu un murmure, des cous se tendirent et personne  ne pensa plus à l'humidité ni au froid, car on aurait dit que le fleuve changeait soudain d'avis : une vague, haute d'environ quatre-vingt centimètres, venait à contre-courant vers nous, sur toute sa largeur, d'une rive à l'autre. Cette vague arriva à notre hauteur, passa rapidement devant nous et s'éloigna dans l'obscurité. Certains de mes condisciples se lancèrent à ma poursuite, criant, jurant et trébuchant tandis qu'elle les distançait ; je suis resté sur la berge à l'écart.Je ne pense pouvoir bien expliquer que ce moment a eu sur moi. Ce n'était pas comme une tornade ou un séisme (non que j'aie vécu cela) - la nature lorsqu'elle se montre violente et destructrice, et nous remet à notre place. C'était plus troublant parce que cela semblait calmement anormal, comme si quelque petite manette de l'univers avait été poussé et là, pendant ces quelques minutes, le cours naturel des choses était inversé, et le temps avec lui. Et voir ce phénomène de nuit le rendait encore plus mystérieux, encore plus irréel.


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Une fille, qui danse
de Julian Barnes - Éditions Mercure de France - 193 pages
Traduit de l'anglais par Jean-Pierre Aoustin