Le réchauffement climatique et la montée des eaux sont une réalité quotidienne pour les habitants de cet archipel de l'Océan Pacifique, répartis sur 32 atolls. Les I-Kiribati (nom des habitants de l'île) font ce qu'ils peuvent pour se protéger de l'envahissement de la mer, mais ils sont bien contraints de se rendre à l'évidence : ils vont certainement devoir quitter leur pays qui sera submergé. Les dirigeants politiques imaginent d'ailleurs déjà une émigration collective dans une île d'un pays voisin.

C'est dans ce territoire en sursis que Julien Blanc-Gras, écrivain journaliste, a posé ses valises. Intrigué par ce pays qui risque de disparaître, il s'est plongé dans la population locale. Mais outre la lutte contre la montée des eaux, il a découvert une société très particulière et un pays qui n'a rien pour faire rêver.

Pourtant, le cadre est idyllique : des plages, du sable. Mais il est immédiatement refroidi par son chauffeur. Pas question de se baigner dans le lagon, au risque de sortir infecté par les eaux infestées par les bactéries venues des décharges sauvages ou des déjections des  habitants qui utilisent la plage comme toilettes publiques. Rien ne semble fonctionner dans ce pays : la climatisation tombe en panne alors que la chaleur est étouffante ; l'eau douce disparaît peu à peu ; la pêche est de moins en moins importante ; les habitants semblent subir la situation sociale désastreuse sans aucune volonté de révolte.

Et même les rares occidentaux sur place ne sont pas très optimistes. Les représentants des associations humanitaires et des organismes internationaux ne savent pas trop à quoi il servent et se demandent où part l'argent versé (il part en grande partie dans leur salaire !). Il faut dire que les colons anglais ont pleinement profité du pays, qu'ils ont quitté sans regret une fois les ressources en phosphate épuisées. Les religieux, en particulier les mormons, essaient de faire des adeptes au sein de la population, sans aucunement prendre en compte la société sociale et environnementale du pays.

Comme dans Touriste, Julien Blanc-Gras réussit à mêler chronique sociale et environnementale et style enlevé, avec un humour souvent bienvenu. Aucune condescendance dans le regard du journaliste, mais une interrogation, une inquiétude pour ce territoire qui, irrémédiablement, avance vers sa disparition.

Yohan

Extrait

- L'avion pour Abemama ? Il est parti depuis deux heures. On a avancé l'horaire. On ne vous a pas prévenu ?
- Non, on ne m'a pas prévenu.
- Vous ne voulez pas aller ailleurs ? Il y a un vol pour Maiana dans l'après-midi.
Non, je veux marcher sur les traces de Robert Louis Stevenson et Robert Louis Stevenson n'a pas marché à Maiana.

C'est en maugréant que je rentre de l'aéroport, de l'autre côté de l'ïle. J'ai passé une matinée dans le bus pour rien. A l'agence de voyages, l'employée s'esclaffe quand je lui explique la situation. Je suis traversé par l'envie fugace d'insulter cette connasse. Je me ravise. Elle ne se moque pas. Elle exprime sa gêne. En théorie, il faudrait que j'engueule ce ramassis d'incapables pour faire valoir ma dignité de consommateur. A quoi bon ? J'irai à Abemama la semaine prochaine. L'île sera toujours là, à moins que le niveau de la mer ne s'élève beaucoup plus vite que prévu.

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Paradis (avant liquidation) de Julien Blanc-Gras - Éditions Au Diable Vauvert  - 252 pages