Comme dans tout polar, il y a un personnage principal qui enquête : ici il s’agit d’Einar, un journaliste plutôt curieux, sur qui tombent les affaires judiciaires comme la neige sur l’Islande en ce début d’histoire. Tout d’abord, il croise une jeune postière dont le contenu du courrier [a été disséminé en dehors du caddie qu’elle poussait, et qu’on retrouve étranglée, non loin de là, un Ipod à proximité diffusant une chanson appelée L’ange du matin.
Ensuite, Einar est chargé, pour le Journal du soir, de faire le portrait d’un homme d’affaires véreux, Ӧlver Margretarson Steinsson qui a joué avec des sommes colossales dans des affaires douteuses et qui, maintenant criblé de dettes, affecte un profond repentir.
Pendant ce temps, la fille d’Einar, Gunnsa, veut faire une petite fête à la maison et oblige son père à dormir au sous-sol pour ne pas entendre les décibels. Pas de chance : pendant la nuit, la voisine du dessus, Solveig, une personne âgée charmante qu’Einar côtoie régulièrement, est victime d’une agression et cambriolée.
Ajoutez à cela que la propre fille d’Ӧlver, peu de temps après la parution de l’article d’Einar, est kidnappée et qu’Einar se fait fort de retrouver les kidnappeurs.

Cela fait beaucoup pour un début. Cependant, malgré cette avalanche de problèmes, le tempérament d’Einar se révèle tout à la fois : curieux mais désabusé ; tendre avec sa fille et sa voisine ; mais non dénué d’humour devant les événements qui se succèdent.

Car si le démarrage de l’enquête est plutôt poussif (on cherche partout la petite fille, en oubliant presque la postière étranglée), la partie la plus intéressante est la toile de fond : une Islande gangrénée par l’affairisme, livrée aux spéculateurs ultra libéraux sans aucun scrupule, un monde dans lequel les gros poissons se retrouvent très vite dans les paradis fiscaux tandis que le commun des mortels trinque et paie les pots cassés.

Manque de chance pour Einar, la belle Sigurbjôrg, sa collègue journaliste (qu’il verrait volontiers autrement que comme une collègue) quitte brusquement le journal pour écrire un livre: la biographie d’un certain Rikki, qui a été une star du rock dans les années 80, mais qui aujourd’hui campe dans sa mégalomanie et sa vanité, imaginant que ses fans veulent toujours de lui comme dans le bon vieux temps…

Par un artifice un peu tiré par les cheveux, le dénouement surprendra le lecteur dans son imbrication. Car en Islande, comme le dit Einar, Ici, nous sommes tous plus ou moins parents et il y a très peu de place pour le hasard. Nous sommes tellement imbriqués les uns dans les autres, mon cher Brandur

Bien sûr, en lisant Einar, on pense au personnage de Mikael Blomkvist de Millenium. En refermant ce livre, il nous reste un sentiment mitigé devant ce tableau désabusé de l’Islande avec, néanmoins, une pointe de tendresse, notamment dans le portrait de cette petite fille kidnappée, elle qui n’a rien demandé à personne, mais qui est la victime en cascade d’un système à bout de course. Tout cela n’a, toutefois, rien à voir avec notre chère Europe, bien entendu.

Alice-Ange

Extrait :

- Ce type-là, c’est un vrai salaud ?
- Ce serait peut-être aller un peu loin, ma petite Gunnsa. C’est un homme, naturellement, comme tout le monde.
Elle bâille.
- Mais il est responsable de la crise ? Il est partie prenante de toute cette corruption ?
Je bâille également.
- En effet. Même s’il n’était pas propriétaire d’une grande banque à laquelle il aurait fait payer tout ce qu’il achetait. Lui et ses sociétés apparaissent dans le grand rapport d’enquête du Parlement, que ce soit pour des emplois fictifs ou pour des contributions mirifiques versées à divers hommes politiques. Mais tâche de lui témoigner un respect total et d’agir en professionnelle. Nous sommes des hôtes qu’il reçoit chez lui et nous représentons le journal. Tu es photographe, donc tu prends des photos, point. End of story.
Hier, tandis que nous déjeunions à Grillhusid, nous avons discuté de l’effondrement de l’économie et de la crise. Il a été question de la responsabilité des politiques, de celle des banques et des hommes d’affaires, de celle de tout un chacun. J’ai bien senti que Gunnsa s’efforçait de comprendre le pourquoi et le comment de tout ça. Raggi n’a pas dit grand-chose, mais ses yeux noirs et pétillants d’intelligence montraient clairement qu’il n’en pensait pas moins. Derrière la joie de vivre et l’insouciance qu’ils affichent tous les deux se forme peu à peu une pensée personnelle sur les choses sérieuses de la vie, je dirais même une conscience politique.

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L'ange du matin de Arin Thorarinsson - Éditions Métailié - 310 pages
Traduit de l'islandais par Eric Boury