Cette nuit de la saint-Sylvestre, dans le brouhaha des pétards et des feux d'artifice, Floki débouche une bouteille de champagne tout en disant à sa femme Maria quelque chose qu'elle n'entend pas bien : il lui annonce simplement qu'il la quitte pour un homme, son collègue et amant depuis plusieurs mois, avec lequel tous deux venaient de dîner. Elle sera la dernière femme de sa vie.

Floki et son collègue sont deux mathématiciens qui travaillent sur la théorie du chaos, mais c'est un vrai chaos qui s'installe dans la tête et la vie de Maria : Floki et elle, sont mariés depuis onze ans, ils ont deux adorables jumeaux, garçon et fille de presque trois ans, sont en instance d'adoption, et tout semblait aller pour le mieux. Maria n'a rien vu venir et ce n'est que plus tard, à force de chercher dans ses souvenirs de vie commune, qu'elle va se remémorer de minuscules incidents auxquels elle n'avait pas prêté attention, un changement vestimentaire, des retards pour cause de travail, des conversations avec d'autres hommes brusquement interrompues à son arrivée. Pour l'heure, elle n'est qu'une plaie qui saigne, mais il lui faut bien s'occuper de deux enfants à la personnalité bien affirmée qui réclament toute son attention, et tenter d'organiser le chaos.
Elle va être aidée par deux anges gardiens, un jeune voisin amoureux transi fou d'ornithologie et surtout par sa voisine de l'entresol, Perla, une naine qui assume le double métier de conseillère conjugale le jour, et de « nègre » d'un auteur de romans policiers la nuit. Perla en sait long sur les malheurs et la méchanceté des humains, mais, dit-elle, au lieu de me morfondre en m'apitoyant sur moi-même quand on me martyrisait, je me suis mise aussitôt à transformer en conte la réalité du moment. On peut dire que c'est l'écriture qui m'a fait passer par le trou de la serrure. Je suis grande à l'intérieur a été ma réaction quand ma mère m'a expliqué que j'étais naine et qu'on n'y pouvait rien changer. Perla la bien nommée sait écouter conseiller et faire preuve d'un robuste bon sens : Une femme ne reste jamais seule quand elle sait faire le tiramisu.
La même semaine, Maria rencontre son père biologique dont elle connaît à peine l'existence et apprend peu après sa disparition. Si ta vie était un roman, une telle saturation d’événements dramatiques semblerait peu vraisemblable lui assène Perla l'écrivaine.

Fidèle à son style, Audur Ava Olafsdottir ne donne pas dans l'analyse psychologique, elle décrit des comportements : Maria se blesse, prend la décision d'emmener ses enfants dans leur chalet d'été alors que la radio annonce une tempête, va marcher dans la mer au risque de disparaître.
La nature joue un grand rôle, on sent qu'elle fait partie intégrante de la vie en Islande et l'auteure accorde autant d'importance à la vision fugace d'un renard blanc qui fuit dans la neige qu'au nid d'un oiseau inconnu trouvé dans le sapin de Noël.
Elle sait, comme dans ses autres romans, allier humour et poésie, tendresse et indulgence pour ses personnages sans mièvrerie aucune. A suivre.

Marimile

Du même auteur : Rosa Candida, L'embellie

Extrait :

Il n'y a que trois pieds entre le corbeau et mon mari et au moment où celui-ci dénoue le fil de cuivre du bouchon de champagne, l'oiseau déploie ses ailes d'un noir d'encre et prend son essor dans la nuit polaire.
D'habitude ils sont deux - un couple de corbeaux -, cette fois solitaire, l'oiseau donne l'impression d'être étonnamment lourd, comme un antique bombardier. Je devine au mouvement de ses lèvres que mon mari me parle, mais sans l'entendre ; le bruit des feux d'artifice qui dégringolent du ciel embrasé l'oblige à se répéter. Il me regarde bien en face, braquant vers moi la bouteille comme un fusil sur sa cible, puis il se détourne et fait sauter le bouchon en direction du sorbier. Il verse le contenu rosé dans deux verres et m'en tend un.

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L'exception de Audur Ava Olafsdottir - Éditions Zulma - 338 pages
Traduit de l'islandais par Catherine Eyjolfsson