Peu à peu, cependant, se dessinent plusieurs lignes : partir devient une obsession, une nécessité. Mais partir où ? Ce sera l'Inde où elle n'est encore jamais allée, puis une ville de l'Inde, Calcutta. Ce n'est que bien plus tard que l'auteure prendra conscience qu'elle a été guidée par une lecture ancienne, un film ancien de Marguerite Duras, Le vice-consul » et India song dont la musique, les images, les paroles résonnent encore en elle à son insu, comme , je pense, chez tous ceux qui ont vu le film et lu le roman.
Dominique Sigaud part donc à Calcutta pour un mois, où elle sera écrivain en résidence, mais sans projet d'écriture bien défini : Cette fois, je partirai, simplement ça ; pour la première fois peut-être. Je sais seulement où, avec quel avion, à quelle heure. Rien d'autre à vouloir. Rien à projeter ni créer sur place, imaginer, demander, encore moins dire ou faire.
Contrairement à Marguerite Duras qui n'est jamais allée en Inde, elle matérialise son désir, et va confronter le rêve durassien au choc de la réalité indienne. Son arrivée à Calcutta s'inscrit dans ce double mouvement : Ce Calcutta de nuit tombée, d'avion rasant, de ruelles en terre, de collines très basses, d'ambre sombre, de lumière un peu moite, de douceur déchirante
fait place à la réalité d'un taxi hostile, d'un groupe d'hommes hostiles qui lui réclament un supplément d'argent, d'un hôtel sordide loin des photos d'internet : envie de fuir.
Je suis à Calcutta
se répète-t-elle, sans adhérer vraiment à ce qui n'est encore qu'une phrase vide de sens. Et puis, il y a d'innombrables Calcutta : la ville des palais à l'abandon qui ressemblent à des palais vénitiens - Ton nom de Venise, dans Calcutta désert
, encore Duras, la ville du Consulat et de l'Alliance française où se pressent les expatriés, la ville indienne grouillante, asphyxiante et polluée où on se perd si facilement. Il y a aussi le choc émotionnel du Gange : Devant moi il y a le Gange. L'immensité. Je m'arrête. Je suis venue jusque-là. Ça pourrait se terminer là. Je suis soulevée. Déplacée. Agrandie.
Plus tard, l'auteur retrouve enfin la ville entrevue avant l'atterrissage de l'avion : une ville de rues calmes qui coupent les grandes artères saturées de bruits et de gens : c'est dans l'une d'elles qu'elle s'installe, découvre la lenteur et la douceur, le quotidien des nombreux artisans qui y vivent. Enfin elle peut écrire, prendre des notes pour ce qui deviendra Partir, Calcutta. Et là, le je suis à Calcutta
prend tout son sens, devient une réalité tangible.
Peu avant son départ, elle est invitée à une représentation théâtrale d'une adaptation de Duras, Gates for India song d'un metteur en scène français, jouée en anglais par des acteurs indiens dans la maison de Rabindranath Tagore. Rentrant tard la nuit, elle découvre une ville telle que l'avait imaginée Duras, une Calcutta déserte, ce qui semblait un rêve d'écrivain : C'est Calcutta désert. Les feux clignotent. Rues et routes vides. Longées de bus, camions, voitures à bras à l'arrêt. Tout est à l'arrêt. C'est fantomatique. Somptueux Il n'y a plus aucune couleur. Toutes ont disparu. Il n'y a plus que Calcutta déserte.
L'auteure a retrouvé ce qu'elle cherchait sans le savoir vraiment, elle s'est retrouvée elle-même dans ce voyage qui est aussi un voyage intérieur, dans cette ville qu'elle reconnaît comme sienne.
Un livre d'abord un peu difficile au départ, mais que je ne peux que conseiller aux amoureux des voyages et de l'Inde, qu'ils y soient allés ou non, et bien sûr aux inconditionnels de Marguerite Duras, dont Dominique Sigaud a su parfois restituer le rythme et le phrasé si particuliers.
Extrait :
Matins de plus en plus lents. Résister à Calcutta par la lenteur ; épouser la sienne, masquée par la surabondance et le bruit. Calcutta à l'abri d'elle-même. C'est presque toujours là dans Bannerjee Street ; le vieil homme à qui j'achète des cigarettes, la façon dont les regards se posent. Corps patients ; la douceur en naissant. Tout ce qui me ramène à de la durée. J'y retrouve un état, une longueur ; temps premiers. Quelque chose en moi va vers l'arrêt. Ici ils savent encore. Ce que je redécouvre, ce qu'on sait enfant peut-être : comment visages et corps réapparaissent dans l'immobilité. Cette matière que l'immobilité dévoile. Ce n'est plus masqué, dans la peur. C'est à nouveau là. J'entrevois combien ça m'a manqué. Cette immobilité, cet arrêt, cette pause ; ce délai accordé. Je marche comme eux, je m'arrête. Je vais lentement. Corps retrouvant le silence.
Partir, Calcutta de Dominique Sigaud - Éditions Verdier - 133 pages
Commentaires
lundi 9 juin 2014 à 13h38
Euh... je suis navré mais le Gange ne coule pas à Calcutta !!! Il s'agit du fleuve Hoogly. Sacrée erreur pour un écrivain, qu'on se plait à imaginer scrupuleux dans ses détails, qui plus est après avoir passé un mois sur place...
Quant au reste, bof... Du sous-Duras en somme, paresseux et pompeux (et très mal documenté) comme l'originale, que d'ailleurs j'ai toujours détestée, et ceci ne peut que me conforter si je puis dire dans cette "détestation".
En fait, j'écris moi-même un peu, mais ce qui importe c'est que depuis quatre ans j'habite moi-même à Calcutta. Et dans aucun des mots de Dominique Sigaud je ne reconnais quoi que ce soit de cette ville étrange, grouillante et fantomatique, peu connue, à la magie pas toujours évidente mais bien présente...
Non, je ne commanderai pas ce livre, cette chronique et l'extrait m'ont suffi...
lundi 9 juin 2014 à 17h32
Ben Barthélémy: Je ne dirais peut-être pas que le Gange coule à Calcutta, mais je ne considére pas comme fautif de l'affirmer. Sinon, comment expliquer que les pélerins se pressent chaque année sur l'île de Gangasagar en aval de Calcutta où selon la légende la Ganga serait venue purifier les cendres des 60000 fils du roi Sagara...
Je ne sais pas si je lirai ce livre-ci, mais sur la ville de Calcutta, je recommande Fantômes à Calcutta de Sébastien Ortiz, cf. http://www.biblioblog.fr/post/2010/...
mardi 10 juin 2014 à 04h53
Le fleuve Hoogly étant un de ses affluents, techniquement oui il draine de l'eau du Gange, les milliers de pèlerins de Sagar Island n'ont donc pas tort !
Quant aux "Fantômes à Calcutta", j'ai eu la chance de tomber dessus (justement à l'Alliance Française de la ville), et comme vous je recommande fortement ce recueil de textes et photos sensible et un peu décalé (d'autant plus inattendu de la part d'un membre du personnel consulaire, d'ordinaire si froid !).
Il est si rare qu'on parle de Calcutta, du moins différemment qu'avec les sempiternelles images caricaturales d'horreur sociale et de misère noire. Calcutta souffre aujourd'hui de la mauvaise image véhiculée dans l'inconscient collectif par les propos et écrits alarmistes (et vendeurs) de l'escroc Mère Teresa et l'écrivain grand public Dominique Lapierre... Le résultat est, outre une réputation de "porte de l'enfer", une absence totale de tourisme, de grandes entreprises... Car Calcutta n'est pas une décharge à ciel ouvert où les rats dévorent les cadavres à même le trottoir !
mardi 10 juin 2014 à 08h47
Je vois que ce livre fait réagir! N'ayant jamais mis les pieds en Inde,je fais de prime abord confiance à l'écrivain...Je note "Fantômes à Calcutta" (merci Joel) en attendant de lire d'autres impressions sur une ville qui échappe semble-t-il à toute vision réductrice.
jeudi 12 juin 2014 à 11h00
Curieux... je suis surpris par les commentaires qui tentent de justifier l'erreur de l'auteur sur le nom du fleuve. "techniquement oui il draine de l'eau du Gange". Ce n'est plus ni de la littérature ni de la science mais de la foi... dans l'auteur...
Sinon, je suis plutôt d'accord sur le style pompeux. La lecture m'a paru assez fastidieuse, je n'ai pas terminé.
jeudi 12 juin 2014 à 12h38
Si on est catégorique pour dire que c'est une erreur de l'auteure (que je ne connais pas), qu'il s'agisse de cette assertion ou d'une autre sur l'Inde, je pense que l'on se trompe fondamentalement sur le mode de pensée indien, beaucoup moins binaire et rétif aux "contradictions" que ne l'est la pensée occidentale comme le résume une phrase entendue lors d'une annonce introductive au Congrès International des Mathématiciens ayant eu lieu à Hyderabad il y a quelques années : "There is no statement about India that is either true or false, and this is the only statement about India that is true.". L'accepter demande une certaine humilité.
Sur ce point précis, j'ai posé la question à un étudiant bengali (qui a passé presque toute sa vie à Kolkata et qui a atteint hier l'équivalent du niveau Bac+8) : il m'a répondu que le seul nom qu'il a entendu ou utilisé était "Ganga", il n'a pour ainsi dire jamais entendu parler de la "Hooghly".
(Je vais peut-être lire ce livre, finalement...)
samedi 14 juin 2014 à 10h43
Joël : comme je l'ai déjà dit, je VIS à Calcutta, et l'assistant de ma femme, interrogé par téléphone a répondu sans réfléchir : Hoogly river, comme tous les Indiens l'ont toujours dit, du moins dans mon entourage de quand même 16 millions d'habitants.
Il semble donc qu'avoir bac+8 ne soit pas une référence en matière de géographie ?
Ce n'est qu'une question "technique", mais j'imagine que si un Japonais s'extasiait devant le Rhône sur les quais de Paris, les réactions ne se feraient pas attendre...
samedi 14 juin 2014 à 23h20
C'est sûr que si l'auteure s'était exclamée que la Narmada coulait à Kolkata, il y eût de quoi s'émouvoir de l'erreur...
dimanche 15 juin 2014 à 22h44
Voilà, c'est fait : j'ai profité d'une petite fête pour perdre cinq minutes de mon temps (peu précieux de toute façon) pour questionner certaines de mes connaissances bengalies, et il se trouve que tous et toutes parlent de la Hoogly.
Un débat épique, mais j'y tenais, puisque ce n'est pas première fois que je suis confronté à cette si fondamentale question !
Maintenant, il nous reste assez de temps pour décrire les beautés du Mékong qui serpente dans les klongs de Bangkok...
dimanche 14 septembre 2014 à 21h42
Gange ou Hoogly, est-ce si grave ? Je ne pense pas que ce livre soit un documentaire sur Calcutta, encore moins sur l'Inde. Récit d'un voyage tout au plus, dans un pays que Dominique ne connaissait pas, d'un voyage intérieur aussi pourquoi pas ? Le concept a la liberté de ne pas s'encombrer de rationnel, un peu de rêve, d'imaginaire c'est là toute la touche de l'écrivain. Dominique Sigaud est une personne agréable et capable non seulement d'écrire elle-même mais également d'encourager l'écrit chez des personnes qui n'y auraient pas penser seule.