Marie-Hélène Lafon nous conte l’histoire de Joseph. Celle d’un homme dont on savait dans le pays qu’il avait été un bon ouvrier, et avant ses ennuis, tout à fait capable, et doué avec les bêtes, il était très fort avec les bêtes, on n’en trouverait plus des gens comme lui qui avaient dans la patience, le goût et le don ; celle d’un homme qui reste seul et mourra seul ou encore qui ne laisse pas de traces et ne fait pas de bruit.

Avec une langue très travaillée, mais sonnant toujours juste, l’auteur utilise des formules qui font mouche, comme ça fait devoir ou ses parents faisaient une ferme loin du bourg, sur le plateau, sans jamais tomber dans le régionalisme ou le ridicule.

Joseph a beaucoup de qualités. Sa mémoire par exemple : des dates, des lieux, des naissances, des morts, des mariages. Et maintenant qu’il a cinquante-huit, presque cinquante-neuf ans, il va rester chez ceux pour qui il travaille désormais. On ne connaîtra pas leurs noms, seulement leur appellation, le patron, la patronne ou encore le fils. Il s’agit de ceux qui ont accepté de le prendre malgré ses ennuis. Il se finirait dans cette ferme, pour la retraite il irait dans une maison de Riom où étaient les vieux comme lui, il avait déjà dû rassembler et envoyer des papiers à Aurillac. Et finalement, la retraite sera peut-être aussi bonne que celle de ceux qui ont des terres, et des soucis toutes les fins de mois.

Joseph a eu une vie difficile. Dès l’école on se moquait de lui, à cause de son prénom – un prénom de vieux – puis, après la mort du père, après le départ de la mère pour aider son fils Michel et sa belle-fille, Joseph est resté seul. Et a failli prendre femme. Mais n’est pas tombé sur la bonne personne. Son histoire avec Sylvie sera racontée en fin de récit.

J’ai déjà cité Raymond Depardon en parlant de Les pays, et là encore des images du grand photographe surgissent à l’image de ses corps de ferme ou d’étable que l’auteur nous décrit. Le ton est toujours juste. Pas de dialogue chez Marie-Hélène Lafon, juste un long récit, dans une langue parfaite, avec des phrases longues (ponctuées de points virgules) qui s’étirent comme pour dire le temps qui passe moins vite à la campagne qu’à la ville.

Et en filigrane, parce que l’auteur traite aussi à travers son récit de la réalité des campagnes, de leur devenir ou de leur économie apparaît la question de la transmission des fermes dans l’agriculture. Le fils reprendra-t-il la ferme où Joseph a trouvé à se faire embaucher ? Et qu’en est-il de la jeune femme qu’il fréquente ? Et si celle-ci voulait avoir un travail en dehors de la ferme, s’inquiète la patronne ? Et s’ils venaient à divorcer ? Tout est si compliqué aujourd’hui….

C’est la patronne encore qui aura le dernier mot de ce récit. Avec ses géraniums que Joseph arrose consciencieusement, ou avec ces fleurs que Joseph a acheté pour la tombe de sa mère, ou encore pour ce souvenir qu’elle a de son entrée dans l’église : elle voyait tout encore comme c’était disposé sur une table décorée d’une grande nappe d’autel brodée que les bouquets recouvraient ; ça faisait comme un reposoir. Comme Joseph, nous trouvons que ce mot était doux. Et que, comme ce récit, il respire la nostalgie.
Pas étonnant que Joseph pense alors à sa mère et à son prénom, un prénom qui résume aussi ce roman, un prénom qui aurait pu en être le sous-titre, Félicité.

Alice-Ange

Du même auteur : L'annonce, Les pays

Extrait :

Dans cette ferme, on faisait encore vraiment attention aux bêtes, pas seulement pour l’argent, pour l’honneur aussi, et parce que les bêtes ne sont pas des machines, on sent le chaud de leur corps et leurs yeux posés sur vous ; l’hiver elles dépendent, pour les soins et la nourriture, ça fait devoir, on les connaît et elles vous connaissent. Quand on rentre dans une étable bien tenue, l’odeur large des bêtes est bonne à respirer, elle vous remet les idées à l’endroit, on est à sa place. Joseph avait toujours retrouvé ça dans sa vie, même aux pires moments. (…) En entrant dans une étable ou en voyant un troupeau dehors, à l’herbe, il savait au premier coup d’œil, et aussi à l’oreille, si les choses allaient comme il faut. Il n’avait pas toujours eu le choix, il avait dû, certaines fois, travailler dans des conditions qui lui tordaient le ventre mais il n’était jamais resté longtemps dans ces fermes. Il avait appris à se méfier des gens que les bêtes craignaient, les brutaux et les sournois, qui cognent sur les animaux par-derrière et leur font des grimaces devant les patrons.

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Joseph de Marie-Hélène Lafon - Éditions Buchet Chastel - 144 pages