En préambule, Cathrine prévient que le choix de six ouvrages impose d'être draconien. Il laisse de côté de nombreux auteurs qu'il aurait pu élire, mais que pour de nombreuses raisons (trop liés à son histoire passée, lien aujourd'hui plus ténu) il ne cite que rapidement : Annie Ernaux, Marguerite Duras, Hervé Guibert, Henri Calet, Stig Dagerman, entre autres.

Les six auteurs dont il est plus longuement question ici sont, dans l'ordre choisi par l'auteur :  Carson McCullers, Françoise Sagan, Roland Barthes, Fritz Zorn, Sarah Kane et Jean Rhys. Quatre femmes pour deux hommes (équilibre assez rare dans les anthologies de ce genre), deux français, trois anglophones et un suisse germanophone. Les points communs : des auteurs du XXe Siècle, et surtout, des écrivains qui ont participé à la construction d'Arnaud Cathrine comme homme et comme écrivain.

Ceci est vrai pour Carson McCullers, dont le roman Frankie Adams a permis à Cathrine de voir ses tourments adolescents traités dans une œuvre littéraire. Si d'autres ouvrages de l'auteure américaine auraient pu figurer (ils sont pour certains d'entre eux évoqués), celui-là est marquant dans l'histoire du jeune homme.

Pour les autres auteurs, un point commun est la vie sans concession menée par beaucoup d'entre eux. Que ce soit la vie débridée de François Sagan, l’œuvre littéraire et radicale de Fritz Zorn, le théâtre et la vie puissante de Sarah Kane ou l'instinct de liberté de Jean Rhys, tous ont donné un sens particulier à la notion d'indépendance et de radicalité, parfois au prix de leur propre vie, comme pour Sarah Kane qui a poussé son raisonnement à un extrême funeste. Pour plusieurs d'entre eux, plus qu'une œuvre, c'est leur mode de vie qui est à l'origine de l'admiration de Cathrine : le refus des conventions sociales, notamment concernant la vie de couple, est un élément qu'il partage et qu'il retrouve dans les écrits et vies de ces inspirations littéraires.Pour Fritz Zorn, auteur d'un seul roman, Mars, dans lequel il remet en cause son éducation bourgeoise et corsetée, c'est le choix de porter cette radicalité par écrit qui est le point prédominant.

Tout cela est très cohérent avec le choix de Barthes et ses Fragments d'un discours amoureux. En faisant le choix de la liberté, Cathrine se laisse la possibilité de vivre de nombreuses histoires amoureuses et/ou affectives, et de passer ainsi par tous les affres et bonheurs de l'amour décrits par Barthes dans son essai. Cathrine raconte le besoin qu'il a de se replonger dans un nouvel opus de l'ouvrage à chaque histoire amoureuse, comme si chaque relation avait besoin d'un support neutre pour se développer. Nos vies romancées est un excellent moyen de poursuivre mon exploration de l'oeuvre d'Arnaud Cathrine, artiste protéiforme (auteur pour adultes et pour la jeunesse, comédien) qui réussit à chaque ouvrage à renouveler une approche à la fois intime et accessible de ses personnages. Et comme tout bon ouvrage de ce genre, il donne envie de se plonger dans tous les titres inconnus évoqués avec beaucoup d'affection et de respect.

Du même auteur : Sweet home, La disparition de Richard Taylor, La route de Midland, Les vies de Luka, La vie peut-être, Les choses impossibles, Je ne retrouve personne

Yohan

Extrait :

En fait, il suffit de lire ou d'entendre Sagan pour être certain d'une chose (confirmée par tant de gens qui l'ont rencontrée, connue ou croisée) : elle était d'une compagnie délicieuse. Or comment rechigner devant ces rares visages dont on peut dire qu'ils sont d'une "compagnie délicieuse" ? Ces êtres qui nous "amusent" (pour parler comme elle), qui ne sont pas à une "facétie" près, qui préfèrent , en milieu de soirée, aller jouer au casino ou boire en racontant des "bêtises" plutôt que...

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Nos vies romancées d'Arnaud Cathrine - Éditions Le Seuil - 205 pages