1985
Fred est pion dans un lycée en attendant de décrocher le CAPES d'anglais. Depuis quelques semaines, une nouvelle prof d'art plastique a été nommée dans son lycée. Leur regard se croisent un soir, dans l'établissement désert. Myriam est belle et fragile. Fred veut la séduire. Pourtant très vite, il comprend que rien ne sera jamais possible entre eux. Surtout depuis qu'il sait qu'elle attend un enfant de Thomas.

Comme dans tous ses romans, Jean-Philippe Blondel nous offre un récit fragmenté. Ici, la narrateur est pluriel. Trois voix qui s'entrecroisent, celles de Fred, Myriam et Thomas, pour nous raconter leur vécu de cette période douloureuse.
Car tout commence réellement avec la naissance de cet enfant. J'ai été bouleversée par la justesse des émotions de Myriam quelques minutes après l'accouchement. Je me suis rappelé, un sourire au coin des lèvres, de mon propre état d'esprit quand cela m'est arrivé. Toute à ces souvenirs heureux, je n'ai pas vu la gifle arriver. Violente, insoutenable : la mort d'un nourrisson.
Jean-Philippe Blondel, le temps d'un chapitre, abandonne toute ponctuation et nous livre en vrac le va-et-vient saugrenu des pensées d'une mère endeuillée. On ne peut s'empêcher de le lire à voix haute, de l'extirper de son corps; le souffle devient court, le ventre se noue; arrivée à la fin du chapitre, le timbre se brise sur les derniers mots. Il devient alors impossible de tourner la page; par respect pour Pierre, on veut arrêter-là cette histoire.
Et puis, on reprend son souffle comme on peut, comme si on se devait de continuer pour Myriam. Pour qu'elle n'abandonne pas, elle aussi.
Je me suis alors accrochée aux rires des enfants qui m'entouraient à ce moment-là; les entendre jouer m'a aidé à passer le gué, à tourner la page.

Commence le long travail de deuil, l'acceptation de l'inconcevable. Ce trio improbable va se soutenir mutuellement avec les moyens du bord. Fred l'ange gardien qui ne gagne rien ou presque à cette histoire, qui risque tant, va devenir la béquille de ce couple en déséquilibre.

-Qu'est-ce qu'il y a?
Une voix d'enfant m'extirpe de ma lecture.
- Tu pleures?
Non, je ne pleure pas. Enfin si, mon ventre pleure, hurle; la digue a rompu. Mais je ne veux pas m'éloigner de Myriam, Fred et Thomas. Ils ont besoin de moi. Alors je rassure la fillette et après avoir inspiré un grand coup, je replonge auprès d'eux.
Se laisser prendre par le froid du jour finissant pour ne pas oublier ce qui m'entoure; ne pas me perdre totalement dans le flot des mots. Mais être là, près de ces personnages d'encre pour ne pas les laisser dans l'oubli des pages fermées.

Ce roman parle magnifiquement du difficile travail de deuil, de la complexité des émotions qui nous traversent à ce moment-là, et de l'abandon de soi, de l'altruisme le plus pur et le plus beau. Cette relation triangulaire aurait pu devenir malsaine, mais Jean-Philippe Blondel a su éviter cet écueil.
Je ne sais pas vraiment comment vous parler autrement de ce livre.
Il m'a fait souffrir et il m'a fait un bien fou

Ne pas rater l'interview exclusive de Jean-Philippe Blondel.

Du même auteur :
6h41
Et rester vivantThis is not a love song, Accès direct à la plage, 1979, Juke Boxe, Un minuscule inventaire, Un endroit pour vivre, À contretemps, Le Baby-Sitter, Au rebond, G229

Par Laurence


Les critiques qui suivent ont été mises en ligne le 01 juillet à la suite du "Prix Biblioblog"


Tous les romans de J.Ph Blondel m’ont touché d’une façon ou d’une autre. Mais Passage du gué sera à jamais mon préféré. Parce que pour moi, c’est à ce jour, le plus abouti, parce que c’est beau, parce que j’ai aimé Fred, Myriam et Thomas, les personnages que l’on suit comme si nous faisions partis d’eux., parce que j’ai souffert avec eux.
Je ne peux relire ce roman, en parler ou lire des commentaires sans pleurer. Oui, pleurer. Le mot peut vous paraître trop fort, mais c’est ma réalité, ma relation avec cette histoire.
Ces vies sont bouleversantes. C’est le livre sur la douleur à l’état pur, sur un homme magnifique qui va aider un couple à surmonter sa douleur, les soutenir corps et âmes jusqu’à l’autre rive. Il est le passeur. L’abnégation de Fred est bouleversante, magnifique. Il sait qu’il risque de s’y perdre aussi, mais il fait le geste. Jusqu’où peut-on s’oublier pour sauver un autre être humain ?

J’aime beaucoup cette image de fleuve aux dangereuses turbulences qu’il faut traverser. Il faut y aller, c’est vital, il faut absolument atteindre l’autre rive. Celle où la vie est à nouveau possible, où l’amour a encore un sens.

Je ne vous parlerai pas du moment où Myriam, toute nouvelle maman, apprend le décès de son enfant, parce que….

Je vous parlerai des autres bijoux glissés dans ce roman : l’amitié entre Fred et Christophe qui offre une des plus belles définitions qui m’est été donnée de lire sur ce sentiment ; un style limpide, sans fioritures pour parler des relations parents-enfants, de l’ambiguïté des désirs, des dérives des pensées les plus profondes des personnages. Tout nous parle dans ce roman. Il est impossible de ne pas être touché, de ne pas trouver quelques lignes faisant résonance en chacun de nous.
Je pourrai en rajouter encore et encore….

Si vous voulez lire un traité d’Humanité, lisez Passage du gué. Lisez Jean-Philippe Blondel.

Dédale


Un roman d’amours qui joue sur la complexité des sentiments, une relation à trois mais qui ne tombe jamais dans le malsain grâce aux talents de l’auteur. Je reste cependant assez partagée sur ce roman qui emmène le lecteur sur toute la gamme des sentiments.

Arsenik_


Que rajouter aux billets qui ont déjà été écrits sur ce roman. Ce qui en a été dit est vrai. On s’attache à ces personnages comme on a pu le faire avec Anna Gavalda ou encore avec Marie Laberge (pour les Québécois – d’ailleurs je souligne au passage que Marie Laberge a aussi écrit un livre très touchant sur la mort subite du nourrisson, La cérémonie des anges). C’est un talent rare que de mettre au monde des gens qui soudain emplissent notre vie et nous semblent si présents qu’on ne voudrait plus les quitter, qu’on voudrait avoir notre mot à dire. (Je souligne au passage que la lecture de l’entrevue avec Jean-Philippe Blondel m’avait fait exactement le même effet… du genre : vous ne voudriez pas être mon ami monsieur ? ;o) )
Je dirais que ce roman ne m’a pas transcendé par son style. Mon petit côté assoiffée de poésie et de philosophie n’a pas trouvé là ce qu’il cherche habituellement, mais en même temps, ce roman fait exactement ce qui doit être fait : on raconte une histoire qui nous embarque à fond. Ça a tué l’intellectuelle en moi quelques heures – je l’ai lu en une journée – et puis bon, quel soulagement parfois de la faire taire celle-là !
Je dirais que la plus-value de ce roman est l’ambiguïté de la relation entre Fred et Thomas. Cet aspect ajoute définitivement une touche de profondeur au cyclone qui nous est décrit. Je ne crois pas d’ailleurs que Fred fasse à ce point preuve d’abnégation. Aucune générosité n’est totalement gratuite, elle répond toujours à un besoin égocentré. Il ne faut pas la rejeter pour autant, il faut en être conscient. Fred a aussi besoin de ce drame pour donner un sens à sa vie, et ce n’est pas rien. J’ajouterais que la non-rencontre, le fait que Fred décide de ne pas les retrouver, de ne pas garder le contact a été pour moi très troublant. Ça c’est une belle leçon de lâcher prise ! Une autre force du récit.
C’est un livre à la fois touchant et reposant pour l’âme. Je me suis particulièrement reconnue dans certains des passages, entre autres dans le désarroi de Fred qui ne comprend pas comment il a pu se tromper à ce point quant aux sentiments de Myriam à son endroit (ceux qui suivent mon blog comprendront). À chacun son histoire… et il y a de la place pour les nôtres dans ce roman.

Catherine


Là, j'ai un cas de conscience. Pardonnez moi, monsieur Blondel, je n'ai pas du tout accroché. Ça le fait pas d'annoncer ça comme ça, de but en blanc, mais comment le dire autrement ?
L'histoire ne m'a pas du tout attiré, le style s'est révélé opaque à ma compréhension, trop flou, trop fouillis, trop saccadé. Impossible de trouver des repères, de prendre mes marques. Et puis au bout de cent pages, je ne voyais toujours pas la finalité, perdu dans une sorte d'histoire de cœur par procuration. Vraiment, là, je ne sais plus. Parce que pourtant la critique de Laurence est élogieuse. Alors peut-être suis-je insensible à ce genre, peut-être n'était-ce pas le bon moment. Peut-être restera-t-il dans mes actes manqués...
Quoi qu'il en soit, ce roman a été ma grande déception de cette sélection.

Cœurdechêne


2006, un homme se souvient.
1985, un homme Thomas, une femme Myriam, un homme Fred.
Une, deux, trois histoires d’amour, non c’est l’histoire à trois voix, de leur histoire, leur passé.
L’amour, l’amitié, l’altruisme, la peine, le désir et son ambiguïté, la vie, l’optimisme, la douleur et les sentiments racontés par trois personnes au même moment sur ce qui les rapprochent et les éloignent à la fois.
L’amour est parfois surprenant.
J’aime les iris.
J’ai mis du temps à rentrer dans l’histoire.
J’aime la beauté violente des iris.
J’ai mis du temps à lire sans ponctuation.
J’aime le velouté des iris.
J’ai mis du temps à comprendre la douceur des sentiments.
J’aime la couleur des iris.
J’ai mis du temps à sortir de ma réserve.
J’aime la fragilité des iris.
J’ai laissé au bon soin du temps, la blessure.
J’ai cueilli des iris.
J’ai pris mon temps pour passer le gué avec eux, avec lui.
« Quand nous nous coucherons le soir, nous ne parviendrons pas à dormir. Comme la princesse aux petits pois dont le sommeil est dérangé par ce minuscule légume posé sous son matelas. Notre petit pois. Notre petit poids. Notre pierre. »

Google


Le plus littéraire, construit, réfléchi, des livres de la sélection.
Le squelette du roman est en trois voix, trois voies… Trois chemins à suivre. Etonnamment, Fred sort grandi de cette histoire, ce qui n'était pas évident à rendre dans l'écriture.
Il faut se laisser porter par le flot des pensées intérieures, et même si parfois j'aurai aimé que certaines scènes soient moins suggérées et plus concrètes, j'ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture. C'est à présent certain, je lirai d'autre romans de Jean-Philippe Blondel que j'ai découvert grâce à ce prix.

Hélène


Ce récit à trois voix est étonnant. Dans chaque chapitre, on entre littéralement dans la pensée d'un des trois personnages principaux. Ils nous racontent souvent les mêmes événements, mais chacun à sa manière et avec une rare sincérité. Bref, c'est une lecture très émouvante, avec de purs instants de magie, comme celui de la rencontre entre Myriam et Fred, mais j'ai trouvé plus artificiel le moment où, perdue, Myriam en oublie même sa syntaxe.

Joël


Je n'ai pas accroché à ces personnages. Pourquoi cette écriture au passé? Il me semble que l'histoire aurait été plus forte écrite au présent. Je suis sûrement passée à coté de quelque chose. Il faudra que je le relise dans quelques années. Une belle écriture en tout cas.

Kez


Extrait :

Je suis fatiguée. Parfois, je ne trouve plus mes mots. Il y a tant de bouleversements. J'ai pensé à tant de choses quand la douleur montait et ensuite, dans la salle d'accouchement. Mon esprit divaguait et, en même temps, je n'ai jamais été aussi lucide. Je me souviens avoir vu précisément toutes les failles et toutes les beautés de mes parents, de mes amis, de Thomas, je pouvais dresser un portrait très précis de mon monde, une exacte géographies intime. Dans un coin, il y avait Fred, et lui aussi je le connaissais par cœur. À présent, j'ai tout oublié. Seule l'impression persiste. Je suis illuminée. Une vrai guirlande de Noël. Tous les branchements de mon existence se sont mis à vibrer et, maintenant, je suis au centre de ma vie. Voilà. C'est comme cela que je le formule et je me moque que cela n'ait pas de sens.

couverture
Éditions Robert Laffont - 336 pages