Vincent pourrait être un symbole du self made man : petit Frenchie parti de rien, il est à la tête d'une chaîne de restaurant florissante et semble couler une vie heureuse auprès de sa femme et ses deux filles.
Mais voilà que sa femme justement, décide de prendre une semaine de vacances chez ses parents, sans lui, et l'invite à faire de même. Or, ses parents, Vincent s'évertue à les éviter depuis des années. Eux, et tous ceux qui sont restés dans sa ville natale. C'est donc à "reculons" qu'il entreprend ce pèlerinage de sept jours.
Sept jours pour se confronter à son passé, sept jours pour voir toutes ses certitudes s'écrouler les unes après les autres.

Son passé, Vincent aimerait l'oublier. Avant d'arriver en Angleterre, il était le stéréotype du looser : au chômage, buvant trop, accumulant les déceptions amoureuses... Aujourd'hui, il est un autre homme, connu et reconnu. Mais peut-on tourner la page aussi facilement?

Jean-Philippe Blondel a décidé de surprendre ses lecteurs et de sortir des sentiers battus.
Si d'aucuns ont pu le taxer d'auteur gentillet, ce roman les fera mentir. Le rythme est saccadé, l'écriture âpre et amère.
Vincent n'est pas un personnage sympathique. Son regard sur ses parents, et ceux qui le côtoyaient avant, est cynique, aigre. Au milieux des jugements à l'emporte pièce, on sent la rancœur et l'orgueil mal placé.
Jean-Philippe Blondel prend donc son lecteur à rebrousse-poil, tout en l'ayant prévenu : "This is not a love song".... encore que....

Encore que Céline va changer le cours de l'histoire.
Je ne voudrais pas qu'il y ait de méprises : il ne s'agit pas d'un revirement sirupeux avec grains de riz à la sortie de l'église. Non. Ici, le retournement est acide. "Œil pour œil, dent pour dent.". Et pourtant, cette violence est une autre sorte de passage du gué... un autre type d'amour.

J'ai toujours beaucoup d'appréhension quand je lis les nouveaux romans d'un auteur que j'affectionne particulièrement. La peur d'être déçue, de vivre moins intensément sa nouvelle histoire...
Il y a d'abord la surprise d'une nouvelle écriture, plus directe, moins confortable, mais c'est ce qui en fait justement l'intérêt. Et puis, l'étude des personnages, les mécanismes de la pensée sont toujours aussi bien rendus. Jean-Philippe Blondel a l'art de se mettre dans la tête des gens, et c'est un talent rare.
Ici, Jean-Philippe Blondel nous propose à travers son récit de nous remettre en question, de revoir nos jugements et nos principes trop vite établis. C'est le roman d'un homme qui réalise trop tard que son rêve n'était pas forcément celui qu'il croyait être.
Même si, pour être honnête, je n'ai pas vécu cette lecture avec les mêmes frissons que pour Passage du Gué, cela n'enlève rien à ce roman que j'ai beaucoup aimé.
Oui, j'ai aimé sa dureté.

Du même auteur :
6h41
Et rester vivant
G229
Le Baby-Sitter
Accès direct à la plage
1979
Juke Boxe
Un minuscule inventaire
Passage du gué (Prix Biblioblog 2007)
Un endroit pour vivre
À contretemps
Au rebond

Voir aussi l'interview de Jean-Philippe Blondel pour le Biblioblog

Laurence

Extrait :

La première fois que Susan m'a demandé comment je trouvais mes parents, quel adjectif je leur apposerais, j'ai répondu "prévisibles". Lorsque j'habitais encore à la maison, il m'arrivait très souvent de parier avec mon frère sur ce que maman allait répliquer, comment papa allait réagir - nous bâtissions tout un dialogue muet. Nous avions raison à chaque fois. Susan, elle, les a trouvés chaleureux. Surtout ma mère. Hélène.

Hélène et Jean - mes parents. Et Jérôme, mon frère.

En fait, en les évoquant, les membres de ma famille prévisible, j'ai ressenti un léger pincement au cœur qui m'a profondément ému et surpris. Surpris parce qu'on m'a assez reproché de ne pas être assez "famille" et de me tenir à l'écart de toutes les célébrations. De ne penser qu'à mon propre cercle. À ce monde que je bâtissais autour de moi. Il le fallait. Je devais saisir cette chance de n'être pas ce que j'étais destiné à être au départ - un glandeur sympathique. Un pique-assiette qu'on aime bien mépriser en douceur. En dix ans, tout à changé. En dix ans, je suis devenu quelqu'un.

couverture
Éditions Robert Laffont - pages