Dans ce roman intimiste, le lecteur suit les pensées de Sonia sur toute l'étendu de cette journée un peu particulière.
Elle qui fut mère célibataire à 19 ans, a bien du mal à admettre que sa fille puisse s'enfermer dans le mariage à 28 ans. Forcément, les différentes étapes de la noce vont la replonger dans son propre passé; mais ce sont avant tout les inquiétudes d'une mère, face à son enfant qui s'envole, qui transparaissent dans ce récit. Anna sera-t-elle réellement heureuse? Et quelle sera désormais la vie de Sonia? Que deviendra-t-elle, dépossédée de son rôle de mère protectrice?
Il y a beaucoup de tendresse et de regrets dans ce roman, mais jamais de rancœur. Sonia n'a pas vu les années passer, prise qu'elle était par son métier d'écrivain. Elle n'a jamais vraiment voulu grandir. Et ce qui m'a marqué ici, c'est l'inversement des rôles. Sonia se présente comme la plus enfant du couple et laisse à sa fille l'habit de la sévérité. Elle montre un peu bohème et ne comprend pas l'intransigeance de sa fille.
Mais plus la fin de la noce approche, et plus elles assument leurs désirs, et par la même, peuvent enfin se comprendre.
Nathacha Appanah signe ici un roman tout en douceur. Malgré la fébrilité du mariage, le temps semble suspendu, et si l'on exclut quelques répétitions superflues, Sonia, la mère-narratrice, nous réussit à nous communiquer ses espoirs et ses craintes.
Du même auteur : Les rochers de poudre d'or, Blue Bay Palace et Le dernier frère
Voir aussi l'interview de Nathacha Appanah accordée au Biblioblog
Extrait :
Je marie ma fille, aujourd'hui. Cette phrase bondit dans ma tête tandis que je la regarde dormir. J'ai quarante-deux ans et je marie ma fille aujourd'hui. J'ai soudain l'impression d'être sortie de mon corps, de flotter au-dessus d'Anna endormie et de moi-même, de regarder tout cela comme on regarde un film, de me dire que cela ne peut pas m'arriver, pas à moi. J'aurais souhaité être sage le jour du mariage de ma fille, par là, je veux dire ne plus avoir peur du lendemain, regarder mon passé et sourire, attendre l'avenir sans angoisse, avoir accompli de dont j'avais envie, ne pas être envieuse de qui que ce soit, de quelque situation que ce soit, avoir un homme séduisant à mes bras, assez d'assurance pour pouvoir rire aux éclats et faire rire les autres, j'aurais voulu avoir assez de recul sur ma propre vie pour encourager ma fille, mais non, je ne suis pas tout cela, je n'ai pas tout cela.
Quand je sors de sa chambre ce 21 avril, il est sept heures à peine et la vieillesse soudain m'attend à la porte.
Éditions Gallimard - Continents noirs -148 pages
Commentaires
dimanche 4 novembre 2007 à 17h09
Voilà un sujet qui m'attire tout particulièrement.. étant vécu tout récemment la même troublante expérience et ne m'en étant pas encore remise
Merci pour cette référence
dimanche 4 novembre 2007 à 17h10
... ayant vécu... bien entendu !
dimanche 4 novembre 2007 à 19h55
Avec plaisir Claudune. C'est un roman tout en nuance et douceur.
dimanche 15 juin 2008 à 20h18
La noce d'Anna
Je crois que je ne trouverai pas les mots pour dire la force de l'émotion que j'ai eue à lire ce texte, de la première à la dernière ligne (il n'y a que 140 pages environ).
Je laisse la parole à l'auteur, vers la fin de son livre, à propos de ce qui s'y déroule alors, car c'est une partie de ce que j'ai ressenti moi-même en refermant l'ouvrage :
"... Nous ne disons rien, notre silence ressemble à ceux d'après une séance de cinéma, quand le film est bon, quand les émotions perdurent, quand les images dansent encore dans la tête et que personne ne veut dire "Alors, qu'est-ce que t'en penses ?", parce qu'à ce moment, au moment où cette phrase serait dite, le film serait alors passé puisqu'il faut déjà mettre les mots sur les émotions. ..."
Une partie seulement car en même temps j'ai eu envie de - et j'ai crié la beauté de ce texte, un des tout meilleurs que j'aie jamais lus.
Une mère qui a élevé sa fille seule la marie et tout au long de la journée, les jours qui précèdent et le lendemain, elle se livre à une introspection sans complaisance sur ce qu'elle est, sur leurs rapports, leur vie ensemble, sa vie à elle, les autres, la vie tout court. C'est simple et émouvant, lucide, sincère et, je l'ai dit, juste, juste, juste sur tout et surtout.
Force de ce langage sans fioritures, sincérité absolue.
Ce texte dit la vie avec humilité, dit l'amour dans sa complexité mais aussi parfois sa simplicité et sa beauté.
De plus il se passe quelque chose pour cette femme ce jour-là...
J'arrête là ; vous l'aurez compris : pour moi c'est un dix sur dix, un livre rare.
Claude Colson, auteur.