11 fragments sur les derniers instants de la vie d'un couple; 11 histoires très différentes et pourtant si semblables.
Il y a les veuves, les couples dévorés par la routine, les pleureuses qui espèrent indéfiniment un retour; les parents qui cessent d'être une entité et se demandent comment l'annoncer à leur progéniture; et les enfants qui ne comprennent pas très bien l'agitation qui les entoure, mais savent que plus rien ne sera comme avant.
En entamant ma lecture, j'ai eu très peur : le premier texte utilise le "vous" en permanence, sûrement pour nous plonger malgré nous dans cet univers de fêlures; mais j'ai toujours un souci avec ce procédé d'implication et il a bien souvent, chez moi, l'effet inverse de celui recherché. D'autant que ne vivant pas moi-même cette triste érosion des sentiments, je me demandais si je parviendrais à éprouver de l'empathie pour ces êtres en souffrance.
La première phrase du second récit ne m'a pas plus rassurée : "Marie Trintignant est en train de mourir". J'ai immédiatement redouté un témoignage à charge. Que l'on se comprenne bien, je ne suis pas en train d'excuser le geste de Bertrand Cantat, mais je me suis toujours demandé où la passion pouvait nous mener, et comment survivre quand nous devenons le bourreau de notre amour. Et très vite, je me suis rendue compte que c'est les mêmes interrogations qui ont motivé la plume de Brigitte Giraud. Avec beaucoup de tact, elle nous met face à nos peurs et la complexité de ce drame. Ça y est, je ne me posais plus de questions et je me laissais porter par la voix de l'auteure.
L'écriture est extrêmement élégante, dépouillée de tout artifice, elle parvient à nous toucher et à nous émouvoir. Brigitte Giraud réussit un tour de force : alors qu'elle ne parle que de ruptures, de déchirement, il y a une douceur et une tendresse persistante. Comme si l'amour survivait à son deuil. On ne peut pas détester ceux que l'on a aimés passionnément. Il subsiste toujours une étincelle, une trace de cet amour dévorant. C'est ce que Brigitte Giraud parvient à nous transmettre dans ses histoires. L'amour est très surestimé... est-ce si sûr?
Du même auteur : Avoir un corps
Voir aussi les avis de Clarabel, Bernard et Sylire
Extrait :
Dire aux enfants
[...] Vous vivrez dans la peur, vous fermerez les yeux, à la fête de l'école, quand papa s'approchera de maman, vous ne voudrez pas voir quand, sous le préau, face à face, ils se parleront, vous vivrez dans la peur et aussi dans l'espoir que vos parents habitent à nouveau ensemble. Vous ressentirez quelque chose d'étrange, le soir dans votre lit, vous ne vous endormirez pas tout de suite, parfois vous imaginerez que tout cela est votre faute, ce sont les enfants qui séparent les parents. Vous vous direz qu'il vaudrait mieux disparaître, vous attendrez de devenir plus grands. Vous préférerez vous faire oublier, vous raserez les murs, vous serez pris dans toutes les contradictions, vous ne voudrez pas déranger mais vous aurez peu de ne pas exister. Vous serez pris dans l'écartèlement, cela n'ira jamais. Vous serez en manque, vous voudrez revenir en arrière, vous aurez la nostalgie de votre petite enfance, vous pisserez au lit de nouveau. Vous refuserez de grandir, vous tournerez cent fois la viande dans votre bouche.
Éditions Stock - 92 pages
Commentaires
mardi 11 décembre 2007 à 19h32
Jolie critique ! Si je n'avais pas lu le livre, je me serais empressée de le faire
Par contre je n'ai pas lu ce livre avec le même regard que toi. Le texte sur Cantat / Trintignant m'a d'ailleurs mise fort mal à l'aise. J'avais d'ailleurs le sentiment que l'auteur faisait exactement ce qu'elle reprochait : s'emparer d'une histoire qui ne nous appartient pas... Et moi aussi j'ai pensé à la chanson des Rita Mitsouko en lisant ce livre et il me semble que la rupture fait autant partie de la vie que l'amour donc pas de souci de mon côté pour lire ce livre en me sentant à la concernée et pas défaitiste.
Enfin des maths... :p
nb : enfin des maths dans l'anti-spam !
dimanche 16 décembre 2007 à 10h25
Flo : Merci pour le compliment
Oui, je comprends tout à fait que la deuxième nouvelle puisse mettre mal à l'aise, et ce n'est pas ma préférée dans le recueil. Au delà de cette nouvelle, j'ai vraiment été touchée par cette persistance de l'amour au moment de la rupture dans les autres récits. J'ai trouvé ça plein de tact. 
jeudi 18 juin 2009 à 23h15
J'ai pour ma part été un peu déçu. J'ai beaucoup aimé les premières nouvelles, notamment celle sur Marie Trintignant dont tu parles. Mais les suivantes m'ont semblées un peu trop redondantes. Je crois que chaque nouvelle aurait gagné à être un peu plus approfondie.
vendredi 19 juin 2009 à 07h35
Bonjour Antoine et merci pour ce commentaire qui me permet par la même occasion de découvrir votre blog.
dimanche 17 janvier 2010 à 10h33
J'ai lu ce livre il y a un certain temps. Je l'ai beaucoup aimé. A vous lire, je me souviens de la nouvelle sur Cantat qui m'a profondément touchée.