Elle prend conscience de tout cela dans le silence, dans le dégoût des mouches omniprésentes, de la violence larvée subies par les femmes, de l’importance de la religion sur les actes de tous les jours, les rites de la circoncision de son frère, des paroles amers et de la tristesse insondable de sa grand-mère, de la vie de misère de cette dernière à trimer dans les champs des colons, à être le souffre-douleur du grand-père marqué par les horreurs de la guerre de libération.
Alors pourquoi s’étonner du dernier acte qu’elle va subir, de la propre main de son frère.

Pour son premier roman, Nora Chaouche nous présente une histoire forte, bouleversante qui ne peut laisser insensible.

Dédale

Extrait :

La violence de ma culture m’avait dépossédée de la liberté et de la paix. Je compris que cette opération n’était qu’un commencement. J’observai les oreilles de mon aïeule. Par le poids massif des anneaux, ses lobes épais étaient déchirés et tiraillés vers le bas. Mon grand-père l’avait traînée par ces attaches lors d’une échauffourée. Je continuais à m’observer en scrutant pendant longtemps les fenêtres de mon abîme. Par ces ouvertures j’espérais faire passer ce coffre opaque, en fonte calfeutrant les signes que je désirais faire affleurer en apesanteur. A la place des mots, des larmes brûlantes inondèrent mon visage et éclaboussèrent l’épaisseur qui me réfléchissait. La lampe fumait et un halo noir s’écrasa sur la poutre qui soutenait le toit. La lumière s’évanouit dans le sombre miroir que j’ai rendu à ma grand-mère.
Elle essaya de me réconforter en me serrant contre son odeur de cendre et contre sa détresse. Elle voila l’objet par le tissu et le rangea. Elle me conseilla de sa voix compatissante :
- Sois patiente, ma fille, je suis certaine que Dieu t’a réservé l’énergie qu’il faut pour t’extraire de cette obscurité. Dieu est grand, il peut tout et je prie chaque jour pour toi. Qu’il te fasse tout le bien !
J’étais émue, car elle m’avait sondée. Pudiquement.. je lui souris. Elle fit revivre la lampe et, assise, elle posa ma tête dans le creux de son giron.

couverture
Éditions Henry – 92 pages.