Loi du 20 novembre 2017 relative aux images sur le territoire de Rush Island dite Loi Bradbury.
L'impératrice Harmony et le Conseil des ministres ont adopté et promulgué la loi dont la teneur suit :
Article 1er – Toutes les images sont interdites sur la totalité du territoire de Rush Island.
Article 2 – Il est interdit d'en voir. Il est interdit d'en posséder et d'en conserver. Il est interdit d'en produire, d'en reproduire, d'en importer et d'en diffuser.
Article 3 – Les appareils capables de produire, reproduire, recevoir ou diffuser des images sont interdits.
Article 4 – Tout contrevenant aux articles de cette loi sera automatiquement condamné à perdre la vue.
Article 5 – La Brigade de l'Œil, corps de police dépendant du Ministère de la Sécurité, a toute autorité pour faire respecter et appliquer cette loi.

Parallèlement aux agissements de la Brigade de l'Œil et du peloton de Falk, il y Kao, un jeune garçon de 15 ans fasciné par les images. Il fait partie de cette génération « pure », non souillée par les déchets visuels. Pourtant il se bat pour en voir, en distribuer même. Il fait parti de la résistance.

Un jour, un de ses clients lui donne une information capitale pour le mouvement : des films ont survécus aux rafles des Brigades. Ils seraient enfouis quelque part sur l'île. Il les a vu, les a même touché. Pour preuve ? Ce morceau de pellicule qu'il donne à Kao. Trois images qui vont s'imprimer sur sa rétine à vie, et un nom qui résonne dans son crâne lorsqu'un autre résistant identifie l'acteur... Charlie Chaplin.

C'est un roman noir. Plein de sentiments et d'idées. Kao est un personnage fascinant, au même titre que Falk, le responsable de la Brigade, hanté par son passé et brisé par les drogues qu'il prend.
J'ai presque envie de faire un parallèle avec Minority Report de Philip K. Dick.
Le sujet principal est, bien sûr, la lutte contre la dictature. Il paraît qu'en ce moment ça doit être mon thème de lecture car j'enchaîne ce type de romans...
Au-delà du sujet, c'est le moyen qui m'a interpellé. Faire disparaître les images... C'est, après réflexion, pas si mal trouvé. Toutes les dictatures du XXème siècle ont basé leur pouvoir sur le contrôle de l'image et des médias. Ici, c'est l'inverse. L'impératrice banni totalement les images. Des livres, il ne reste que des couvertures vierges avec le titre et l'auteur. Mais les bibliothèques fleurissent. La population n'a jamais autant lu ni été si cultivée.
Le concept me plaît, même s'il m'a été difficile de me plonger dedans et d'imaginer un monde tel que celui-là... Peut-être ce qui m'a le plus dérangé dans ce roman, c'est cette Brigade de l'Œil justement. Cet acharnement à détruire aveuglément, à obéir, à brûler. Déjà qu'une œuvre soit brûlée me dérange, mais ce qui me dépasse ce sont les motivations qui poussent à faire ça.
C'est aussi pour cette raison que je n'ai jamais pu finir Fahrenheit 451...

Au final ? un bilan mitigé. Du plaisir à lire cette écriture rythmée, rapide qui entraîne le lecteur dans ce monde sans espoir. Mais toujours cette réticence par rapport au sujet de la dictature et surtout de la destruction de la connaissance.

Par Cœur de chene

Extrait :

Intervention de la Brigade dans un bar. Un homme détient des images sur lui Falk se pencha vers lui.
Et grinça :
Es-tu capable de me donner une information valable sur la provenance de ces images pour m'éviter de te crever les yeux ?
Le criminel eut juste assez de force pour secouer la tête.
Falk lui tourna le dos.
Et ordonna à ses adjoints :
Vous connaissez la procédure...
Strummer dégaina son pyroculis et le mit sous tension.
Le criminel fut soudain animé par un regain d'énergie – il hurla.
Il utilisa les dernières ressources que sa terreur fit jaillir – il trembla-trépigna-tressauta.
Rien à faire.
Kaneshiro referma ses mains autour de son visage et Strummer cala sans ménagement son foret rougeoyant au creux d'une de ses arcades sourcilières.
Le criminel écrasa ses paupières l'une contre l'autre mais la fine mèche du pyroculis en transperça la membrane et lui fendit la cornée et lui éclata le cristallin et lui brûla la pupille et lui fit fondre la rétine et lui pulvérisa le corps vitré et lui carbonisa tout le fond de l'œil.
Un œil.
Et puis l'autre – la routine.

couverture
Édition du Rouergue - 416 pages