Cette autobiographie, puisque c'en est une, retrace l'adolescence de l'acteur, entre mensonges et illusions. Car le lecteur s'aperçoit très vite que l'épisode, au départ amusant, de l'invisibilité, n'est que la partie émergée d'un trouble plus profond : le petit François prend tous les mots au pied de la lettre et s'invente des généalogies; tour à tour fils du super-héros ou d'un mongole, il est persuadé qu'un véritable complot s'est tramé autour de lui depuis sa naissance.


J'ai lu ce roman dans le cadre du Prix du Livre de Poche, et je reste perplexe quant à sa sélection...
Il est toujours difficile de juger une histoire quand il s'agit d'une autobiographie, puisque l'on émet une opinion sur la vie de l'auteur et non sur sa capacité à créer une intrigue. Pourtant plus j'avançais dans le récit plus il me semblait que le cas "Berléand" relevait plus de la pathologie que du simple passage de l'adolescence à l'âge adulte. Cette persistance à se croire le fils d'un autre, à donner vie à ses mensonges, est plus inquiétante qu'amusante... Bien sûr, nous nous sommes tous amusés, enfant, à nous recréer une existence, mais nous savions aussi que tout cela n'était qu'un jeu. Or cela n'a pas l'air d'être le cas de ce petit garçon qui navigue en permanence entre mythomanie et paranoïa. François Berléand a expliqué qu'il avait "brodé" la réalité, et c'est peut-être là que le bas blesse : en voulant trop accentuer le trait, il a créé un personnage qui aurait fortement intéressé une armée de psychiatres. Du coup, la fin paraît totalement invraisemblable : j'ai en effet du mal à croire qu'un adolescent qui s'est fondé une mythologie pendant tant d'années, puisse s'en sortir par une simple tour de passe-passe.

Et puis, un roman, même s'il est autobiographique, c'est aussi une histoire de style; et là, quelle déception. Berléand est certes un bon acteur, mais ce n'est pas un écrivain. Il a choisi de nous raconter son histoire à travers les yeux du petit garçon qu'il était. Mais vouloir s'exprimer comme un enfant de 11 ans est plus compliqué qu'il n'y paraît. Surtout quand l'enfant devient jeune adulte au cours du récit. Beaucoup d'auteurs ont su, avec talent, retranscrire le langage adolescent (je pense notamment à Claude Klotz ou Claude Ponti). Mais ici, le langage "adolescent" se résume à un vocabulaire et une syntaxe plats et dépouillés, un phrasé hachuré, et des répétitions qui ne semblent pas toujours voulues. Et puis il y a des incohérences dans les temps de la narration : au départ au présent, la narration passe sans raisons apparentes au passé, pour revenir ensuite au présent.
À la fin du livre, dans ses remerciements, François Berléand écrit : Merci à Karine Papillaud qui m'a fait parler. Comme d'autres avant moi, j'avais donc imaginé que Berléand avait raconté et qu'un auteur s'était chargé de ré-écrire. Mais, Karine Papillaud elle-même a démenti cette version sur le blog de Cuné. Et bien peut-être, est-ce justement ce qu'il aurait fallu - une réécriture - pour que ce roman soit réellement réussi.

Laurence

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Extrait :

D'un bon je me précipite dans la salle de bains. L'épreuve du miroir n'est toujours pas concluante : mon reflet est bel et bien là. Je me fixe dans les yeux. Un soupçon vient me serrer le cœur. Le fils de l'Homme invisible qui continue d'apparaître, c'est vraiment troublant. Je me décide à inspecter toutes les glaces de toutes les pièces de l'appartement. Je passe devant, plusieurs fois, très lentement, mais inexorablement toutes me renvoient mon image. C'est un problème assez grave. Il faut de toute urgence que j'y apporte une solution. Je décide donc que ces glaces spéciales ont été fabriquées pour me renvoyer mon image. Ce début d'explication me suffit pour l'instant et, un peu plus en paix avec ma nouvelle vie, je fais ma toilette.
Après, habillé, peigné, lavé, même les dents, je vais prendre mon petit déjeuner. Dans la cuisine, il y a Philippe, mon frère, et maman, ma mère. Mon père n'est pas encore réveillé : les lendemains de dîner arrosé, il a la permission.
Quand j'entre dans la cuisine, la conversation s'arrête. Ils me voient eux aussi, j'en conclus. Mais j'en conclus surtout qu'ils parlaient de moi. Et qu'ils disaient des secrets. Je hoche la tête pas dupe, pas grave, et je commence l'absorption de mes tartines trempées de café au lait.

Le fils de l'Homme invisible
Éditions Le Livre de Poche - 215 pages