Après la mort de Jocaste, sa mère et sa femme, reine de Thèbes, Œdipe déchu de sa royauté est exclus de la célèbre et impitoyable ville. Condamné à errer jusqu'à sa mort, seule sa fille Antigone va l'accompagner. Etéocle, Polynice et Ismène, ses autres enfants vont l'abandonner à son sort. Plus tard, Œdipe et Antigone vont rencontrer Clios, un bandit de grand chemin. Ce dernier va finalement les suivre dans leur périple.
C'est cette errance sur les chemins et au bout de leur corps, vers la clairvoyance que nous conte H. Bauchau. Il revisite cette histoire antique où les personnages sont à la fois profondément humains et proches de la divinité, dans une Grèce meurtrie par le soleil et les conflits, pauvre mais aussi solidaire.

Guidés, poussés, pensées et poings liés, par une nécessité intérieure qu'ils ne connaissent pas, ils sont contraints à des actes qu'ils ne peuvent maîtriser. N'y a-t-il donc aucune limite à leurs souffrances, aux épreuves, à cette quête dont ils ne peuvent eux-même décider le cours ? C'est donc un long et pénible voyage intérieur où ils vont devoir affronter leurs propres ténèbres pour atteindre enfin la connaissance de soi.

Il est des lectures dont on a du mal à parler tant elles vous ont habité, fait grandir. Tout dans ce récit incite à la réflexion sur sa vie intérieure. « Connais-toi toi-même » disait Socrate. La place faite aux Arts comme la sculpture, la danse ou le chant est importante. Ils peuvent transcender les personnages comme les soulager de leurs souffrances. L'écriture de Bauchau toute pleine de poésie est une merveille. Elle vous porte littéralement.

Une fois encore, je ne suis pas déçue de ma lecture d'une œuvre de H. Bauchau. Et même s'il porte sur des registres bien différents, je compte suivre le chemin de cet auteur, à nul autre pareil.

Dédale

Du même auteur : Antigone, Le boulevard périphérique, La lumière d'Antigone, Déluge, Les vallées du bonheur profond, Le régiment noir

Extrait :

Elle descend dans l'ombre de la falaise et sa froide lumière. Elle voit la barque qui jaillit, très blanche, de l'énorme roche et comment, pendant ces deux jours, ces deux nuits, Œdipe a incarné sa fille Antigone dans la pierre. Autour du front et des longs cheveux que le vent déroule, le mouvement de la pierre a formé une couronne d'écume. C'est donc ainsi qu'Œdipe la pense, qu'il la fait voir, animée d'une beauté qui n'est pas celle de Jocaste ni celle d'Ismène. Une beauté active, résolue, acharnée dans la confiance. Ce visage connaît la menace de la vague, son écrasante pesanteur, mais il ne s'abandonne pas à l'effroi. La pierre l'a voulu éclairée, et solide, comme le corps, qu'elle a sculpté elle-même et retrouve avec étonnement. Ce corps dont Œdipe a accentué la ligne audacieuse qui est à la fois celle d'un garçon vigoureux et d'une jeune fille élancée, plus intrépide que les jeunes filles de Thèbes. Soudé par l'effort aux corps des deux autres rameurs, il soutient avec eux l'entreprise de survivre. Œdipe l'a achevé par le surprenant visage où tout est donné à l'effort, à la respiration juste et dont aucun des traits ne sourit. C'est la tête entière, c'est le corps tout entier qui, comme le petit dieu usé du village, sont animés d'un sourire dont la lumière transparente émane directement de la pierre. Dans ce profil né d'une vision d'Œdipe, ce qui la frappe, ce qui l'émeut surtout c'est la limpidité. C'est donc ainsi, alors qu'elle se sent souvent si troublée, si incertaine, que son esprit et ses mains l'ont aimée. Elle entoure de ses bras le sourire invisible et présent qu'il lui a donné dans la pierre, elle se réconcilie un peu avec elle-même, elle sent qu'elle pourra peut-être, comme le lui a dit Diotine, devenir un jour Antigone.

Œudipe sur la route
Éditions Actes Sud - 302 pages