Nasser nous raconte son voyage : le départ en pirogue avec ces hommes qui violentent sa mama, la soif, la fin, le soleil qui envahit tout. Ce voyage éprouvant n'est pourtant que le début du cauchemar. Mettre un pied sur la terre française, quand on n'a pas de papiers, c'est ouvrir la porte de l'enfer : accepter la charité des quelques rares blancs qui s'aperçoivent de votre présence, aller de foyers en squats, fuir la police, se méfier de tout et de tous.
Nasser n'était pas prêt à cette violence sourde; il ne comprend pas ce pays et ses habitants :

Je voulais retourner au Mali. Là-bas, il y a la faim mais ici, en plus de la faim il y a le froid, le froid des gens et du climat. Je n'ai jamais vu autant de statues animées cacher leur chagrin et leurs sentiments sous la neige et dans les caniveaux. Il faudrait détartrer leurs poumons qui dégagent l'air de l'indifférence parce qu'ici, on ressent de l'amour pollué. Quand il n'y a plus de cœur dans le corps d'une terre, il faut en trouver un autre. Il y a plein d'hôpitaux, mais pas assez de tendresse.

Chez les blancs, tout va trop vite : ils s'agitent, courent dans tous les sens, changent d'humeur comme de chemises. Et eux qui ont tout, « un frigo et un grand lit », sont plein de vide et de solitude. C'est peut-être ce qui est le plus incompréhensible pour Nasser. Lui n'a rien, mais se sent bien plus riche que ces Blancs qui ont peur de lui.

Et puis Nasser s'inquiète pour Mama. Elle est malade, très malade et son cœur devient dur « comme une barre de fer ». Nasser a peur qu'elle devienne sorcière; que l'homme dont elle parle ne soit qu'un mensonge de plus; qu'il finisse étouffer par l'amour et l'espoir que Mama met en lui.

Le diable, c'est le malheur des mères sur les têtes des enfants.

Par la force des choses, puis par choix, Nasser va couper le cordon qui le relie à sa mère. Il va connaître cette « émancipation » dont parlait le Marabout avec défiance et menaces. Il va comprendre que l'émancipation n'est pas synonyme de mort comme on le lui avait dit, mais de rencontres et de partages. Nasser va trouver refuge dans les livres et acquérir la sagesse d'un ancien. Il devient le vieil enfant; celui qui sait voir à travers les apparences.

Quand je serai grand je garderai la couleur du silence pour me défendre. J'accrocherai sur les portemanteaux du temps les sourires de Mireille. Les gens arrêteront de tourner en rond. Le temps ne deviendra plus un animal qui change d'humeur comme les gens.

Vous l'avez compris, ce roman m'a profondément émue. L'écriture de  Fadéla Hebbadj est belle, poétique et douloureuse. En adoptant le regard de Nasser, l'auteure a su insuffler à son récit la brutalité et la candeur de l'enfance face au monde des adultes blancs. Il y a à travers les mots cette urgence, cette nécessité de nous remettre en question. Nous sommes ces blancs, aveugles et trop pressés qui oublions trop souvent la devise de notre propre patrie. « Liberté, égalité, fraternité », trois mots essentiels et trop souvent piétinés.
25 000 expulsions par an, c'était l'objectif du gouvernement actuel. Mais derrière ce chiffre, il y a avant tout des hommes, des femmes et des enfants, qui cherchaient un eldorado devenu enfer; il y a, comme Mama, des êtres que la maladie dévore; il y a, comme Nasser, des enfants qui ne comprennent rien à ce monde d'abondance qui ne sait pas donner.

Il y a parfois des instants magiques en littérature, quand le fond et la forme se réunissent pour former un tout harmonieux et envoûtant. J'ai vécu l'un de ces rares instants en lisant L'arbre d'ébène.

(Du même auteur : Les ensorcelés)

Laurence


Les critiques qui suivent ont été mises en ligne le 02 juillet à la suite du "Prix Biblioblog 2009". Mention spéciale du vote des internautes.


Voilà un roman sur un thème nécessaire. Pourtant, je n’ai embarqué qu’à moitié dans ce récit. Le ton m’a tannée et le propos m’a semblé finalement assez convenu. Je n’ai plus l’impression d’apprendre rien dans ses considérations où de nouveaux immigrants font le parallèle entre leur ancien chez eux où on avait faim, mais solidairement, et que chez les Blancs, on est seul tout le temps. Ce regard critique mérite peut-être d’être dit et redit, mais pour ma part, j’ai eu l’impression de me frotter à un univers que je connaissais bien et qui ne me surprenait guère. Dommage.

Catherine

Quel dommage ce roman. Pourtant il avait tout pour me plaire. Une écriture fine et agréable, une critique élogieuse (dithyrambique, même), et pourtant...
Sans doute je me suis fais de fausses idées dessus. Ou alors j'en attendais trop. C'est le premier que j'ai lu de la sélection, emporté par l'accueil très positif que j'avais vu sur les blogs. Las ! Je me suis perdu dans l'histoire, dans les personnages, dans les sentiments.
Durant les trois-quart de l'ouvrage, j'ai été persuadé que le narrateur était une femme, alors même que sa virilité ne laisse aucun doute et qu'on parle bien de Nasser, un jeune Malien... Je me suis trouvé empêtré dans une écriture qui magnifiait l'émotion et le sentiment au détriment d'une histoire que j'ai attendu tout le long du roman. Quand enfin, à la presque dernière page, j'ai compris comment était construit le roman, c'était trop tard. J'avais déjà abandonné la partie.
Une histoire à laquelle je n'ai pas cru, une écriture belle et poétique, mais qui m'a pris à contrepied. Bref, une déception malgré tout le bien qui en a été dit.
Peut-être qu'en le reprenant un autre jour, dans quelques temps, sachant dorénavant à quoi m'attendre...

Cœur de chene

Que j'ai eu du mal avec cette histoire !! Même si l'idée de départ m'a beaucoup plus et je suis tout à fait en accord avec la présentation qu'en fait Laurence. Mais en raison du style d'écriture, je suis malheureusement restée loin, loin du petit Nasser et de sa mère. Pourtant, le sujet choisi ne pouvait que m'accrocher. L'auteur raconte parfaitement toute la violence du voyage, le sort des immigrés qui tentent tout pour enfin gagner une terre où une nouvelle vie est possible et combien le rêve peut ne pas être au rendez-vous. Mais vraiment quelque chose m'a éloigné de cette histoire. Mon rendez-vous avec Nasser, sa mère et l'arbre d'ébène - que j'ai vraiment trouvé de trop comme s'il fallait terminer sur un happy-end - a raté. Dommage !

Dédale

Bien sûr, l'histoire de cette relation d'un enfant à sa mère et au monde est émouvante, mais je suis passé à côté de ce roman, y compris à la relecture.

Joël

Ce livre m’a fait peur. Réellement peur. Il raconte le cauchemar des sans papiers, la difficulté de vivre au quotidien quand on n’a pas de légitimité, la difficulté ne serait-ce que de traverser la mer. Il raconte aussi tout ce qu’une mère doit endurer pour offrir à son fils un monde meilleur. Tous les espoirs qu’eux deux mettent dans cette vie nouvelle et combien ses espoirs peuvent être déçus. Le narrateur est Nasser, un petit garçon. Un petit garçon bien plus mature qu’il ne devrait l’être à son âge. Il a grandi trop vite. La vie l’a forcé à encaisser des coups qu’un petit garçon de son âge ne devrait pas avoir à encaisser. Dans ce roman raconté du point de vue de Nasser, l’auteure ne tombe jamais dans le larmoyant, mais raconte des faits, de manière presque objective, ce qui leur donne encore plus de force, à mon avis. Ce livre est un livre coup de poing qui dénonce les pratiques de la France envers les sans-papiers. Il raconte le choc culturel qui assomme les Africains quand ils arrivent dans ce pays, sur cette terre dont ils attendent tant, dont ils espèrent qu’elle leur offrira une vie meilleure. Le choc, lorsqu’ils se rendent compte que cette terre, ce pays, ne leur offrira pas ce qu’ils sont venus y chercher. Ce livre est fort, puissant, difficile et terrible, tout cela à la fois. Un livre qui m’a d’autant plus touchée que je fais partie de ces personnes qui quittent leur pays à la recherche d’une vie meilleure ailleurs. Sauf que j’ai eu beaucoup plus de chance que Nasser et sa mère…

Pimpi

Sur le fond, je ne peux que saluer le thème de cet ouvrage, les conditions de logement et de vie d’un jeune sans-papier qui doit faire face à la maladie de sa Mama. On y sent toute la démission de la société actuelle face à ces humains considérés comme des numéros et des envahisseurs.
Sur la forme, je n’ai toutefois pas été complètement convaincu. Je ne saurai dire ce qui m’a retenu, mais il m’a manqué un petit quelque chose pour totalement succomber à cette histoire. Une lecture toutefois marquante, avec le petit Nasser !

Yohan


Extrait :

Mama me rassurait quand elle en avait la force, et me disait de me méfier bien plus de la police, des gens qui bougent trop vite dehors et qui donne le tournis, que de notre voisin. En regardant par la fenêtre, je les voyais circuler en voiture ou à pied dans tous les sens. Au pays, quand il y a autant de gens dehors, c'est pour suivre le même chemin, la mosquée ou le marché, ici, ils allaient tous à des endroits différents. Je crois que c'est à cause de ça qu'elle avait mal à la tête.
Quand on est entrés la première fois dans cet appartement, j'ai commencé à courir comme eux dans tous les sens. Mama m'a dit :
- Ne rejoins jamais ces gens qui bougent comme des flèches et qui, à force d'aller n'importe où, ne savent plus qui ils sont. Ils sont perdus, perdus dans le mirage de tous les chemins. Quand les hommes marchent et mangent trop, leurs pensées s'embrouillent et vont dans tous les sens, c'est comme ça qu'ici on gaspille la vie! Ils vont et viennent comme des imbéciles à qui ont a retiré un cœur. Maintenant ils ont oublié de vivre et nous, ils ne nous regardent que comme ceux qui viennent manger leur pain.


Éditions Buchet Chastel - 172 pages