La démarche qu'Erik Orsenna a adoptée pour rédiger cet ouvrage est sensiblement la même que dans Voyage au pays du coton. Pour comprendre, pour raconter, il a parcouru les pays, rencontré des spécialistes, des militants, des politiques mais aussi de simples citoyens.
Tout commence par une tentative de définition : qu'est-ce que l'eau ? Bien plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord, elle est à la fois salvatrice et destructrice, généreuse et instable. Elle est aussi ce qui réunit religion et science puisque tout le monde s'accorde à dire qu'elle est à l'origine de tout.
Ce préambule établi, Erik Orsenna part pour l'Australie, l'Asie, le Moyen-Orient, l'Afrique avant de revenir en France. Sur place, il interroge, observe, rencontre les populations et les décideurs. Tout au long de son parcours, Erik Orsenna endosse l'habit du candide, du néophyte (ce qu'il n'est assurément pas) pour nous permettre de suivre plus facilement ses pas. Et ça fonctionne.
Les chiffres affolent, bien sûr : 2,6 milliards d'être humains vivent sans système d’évacuation des eaux usées, 25 000 êtres humains meurent chaque jour faute d’eau,dont la moitié sont des enfants. Mais au-delà de ces chiffres alarmants, Erik Orsenna nous parle de l'eau dans tous ses états et du quotidien des différentes populations. L'avenir de l'eau n'est pas un essai théorique, coupé de la réalité. Bien au contraire. C'est en exposant des situations concrètes qu'Erik Orsenna veut nous faire passer son message ; à travers ses mots et ses exemples nombreux, nous comprenons les problèmes complexes qui se nouent autour de l'eau.
Il y a bien sûr les maladies qu'elle véhicule : le choléra fait encore des ravages à Calcutta alors que les solutions existent et sont d'une simplicité désarmante.
L'eau est à l'origine d'inégalités criantes : géographiques et climatiques - quelle chance nous avons de vivre dans un pays au climat tempéré, au relief diversifié, nous qui n'avons jamais eu jusque-là à lutter pour préserver cette ressource ! Mais au-delà ce ces inégalités "naturelles", il y a aussi des contrastes choquants : un habitant de Las Vegas consomme 1000 litres par jour quand aux portes du désert de Namibie la population tente de récupérer l'eau contenue dans l'atmosphère puisqu'il ne tombe que 20 millimètres par an.
Mais l'eau est une arme cruelle aux mains des politiques : partout dans le monde, des fleuves sont détournés pour irriguer les plantations, sans se soucier qu'ils soient taris en arrivant en bout de course et assoiffent les habitants des pays voisins ; pendant les guerres, certains généraux prirent la décision d'inonder des plaines entières et les populations qui vivaient là ; entre Israël et la Palestine, l'eau est devenue l'objet de toutes les tensions.

Et pourtant, l'eau est aussi capable de réunir autour d'elle le meilleur. Face à cet élément capricieux et instable, l'être humain choisit la plupart du temps d'unir ses forces et de créer des systèmes ingénieux et audacieux. C'est aussi ce que nous montre ici Erik Orsenna. En faisant le tour du monde, il dresse également un état des lieux des initiatives, qu'elles soient locales ou internationales. Des milliers d'êtres humains s'activent en permanence pour trouver des solutions, parfois pharaoniennes, parfois étonnantes ( saviez-vous que les lombrics étaient les meilleurs amis de l'assainissement de l'eau ? ).

Malgré ses 400 pages, ce petit précis de la mondialisation se lit comme un roman : point d'exposé indigeste, mais une série d'histoires exemplaires, et l'on reconnaît ici la patte de l'écrivain. Erik Orsenna est un formidable conteur, un popularisateur, comme il aime se définir. Je lui ferais pourtant un reproche : à trop vouloir comprendre les uns et les autres, à ne jamais vouloir juger, il a parfois un discours un peu tiède. Cela m'a paru particulièrement criant s'agissant de l'agriculture française, problématique que je connais sans doute mieux parce qu'elle est plus proche de moi. J'aurais en effet peut-être aimé qu'Erik Orsenna prenne parfois des positions plus tranchées.
Malgré tout, cet Avenir de l'eau est passionnant et nous permet de mieux comprendre l'état de notre planète. Dans l'avant-propos, l'auteur indique que le dialogue se poursuit sur internet, et que n'ayant pas pu intégrer à l'édition papier toutes ses rencontres, il les mettait à disposition sur son site. Malheureusement, l'adresse indiquée ne fonctionne pas au moment où j'écris ce billet. Dommage, car j'aurais bien aimé poursuivre encore un peu le voyage.

Du même auteur : Voyage au pays du coton, La grammaire est une chanson douce, Les chevaliers du subjonctif, Dernières nouvelles des oiseaux, La révolte des accents, Longtemps

Laurence

Extrait:

J'ai aussi entendu ceci. Un vieil homme se tenait immobile au bout d'une île. Nous lui avons demandé ce qu'il faisait.
- Je regarde ma terre.
- Mais il n'y a que de l'eau...
- Peut-être que ma terre reviendra. L'eau l'a avalée, l'eau peut bien la rendre. On ne sait jamais, avec l'eau.
En attendant, l'homme paie la taxe sur la terre...
- Si je ne paie pas la taxe et si la terre réapparaît, le gouvernement la donnera à un autre, je l'aurai vraiment perdue.


Éditions Fayard - 403 pages