1958. Solange se réveille dans une chambre d'hôpital; elle a été agressée, rouée de coups. Dans le brouillard de son réveil, ses pensées sont hantées par le départ de son père, Isy, embarqué dans les wagons de la mort pendant la seconde guerre mondiale.
1945. La guerre est finie. Les survivants se retrouvent au Lutécia et attendent des nouvelles de ceux qui sont partis. Comme beaucoup d'autres, Solange refuse de faire le deuil sans voir la preuve de la mort de son père.

L'ordre des jours nous raconte cette décennie de quête, entre espoir, résignation et désir de vengeance. Solange ne peut se projeter dans l'avenir sans avoir éclairci cette zone d'ombre, et ce, même si tout son entourage semble s'être fait une raison. Pour que l'arbre grandisse, elle a besoin de retrouver ses racines et de mettre des mots, ou des actes, sur l'horreur. Ce roman propose donc une réflexion sur la reconstruction individuelle. Comment imaginer un futur quand votre passé vous a été dérobé?

Gérald Tenenbaum, sans écrire un roman historique, a soigné le décor de son intrigue, et la reconstitution de la France des années 50 est peinte avec minutie : l'angoisse des familles à l'arrivée des trains, le rationnement qui perdure, l'Indochine, le début de la guerre d'Algérie; mais également tous les menus détails qui rendent cette évocation très réaliste : les voitures, les tenues vestimentaires, la musique etc... Pourtant, comme je le disais, il ne s'agit pas vraiment d'un roman historique. Le sujet est bien plus universel et pourrait être transposé à n'importe quelle époque où des civils seraient victimes de la barbarie humaine.

Si je n'ai pas été réellement subjuguée par ce récit, je lui ai trouvé des qualités indéniables dès les premières pages. En ces temps où la forme semble devenir presque anecdotique, Gérald Tenenbaum propose un véritable travail d'écriture. Chaque mot, chaque phrase contient une dimension poétique. L'auteur joue sur les assonances, les allitération et les silences. Tel un architecte, il agence ses mots et construit des parallèles pour que la musicalité de son récit soit tout aussi prégnante que son propos.
Alors, même si j'ai trouvé que ce roman souffrait de quelques longueurs et que la reconstitution était parfois un peu laborieuse, je ne peux que souligner cette volonté de mêler forme et fond. Je trouve en effet de plus en plus regrettable que les auteurs contemporains oublient qu'écrire n'est pas simplement raconter une succession d'événements (auquel cas, n'importe quel scénario serait un roman en puissance). Écrire, c'est aussi être attentif au phrasé et à la sonorité des mots. En lisant l'Ordre des jours, j'ai retrouvé ce plaisir, cette cohésion entre le propos et la forme, et cela m'a donné envie de lire d'autres récits de cet auteur.

Voir aussi l'avis de Cathulu qui n'émet pour sa part aucune réserve.

Du même auteur : Le geste

Laurence

Extrait:

Comme à chaque fois, Solange avait eu un léger pincement au cœur devant la librairie-papeterie qui donnait sur le passage. Ils n'avaient que quelques livres en vitrine, mais soigneusement choisis et qui changeaient chaque semaine. C'est là, sans savoir pourquoi, qu'elle aurait aimé voir ses poèmes, un petit recueil, pas plus, avec une couverture rouge. Mais pas vermillon, ni même vermeil, un rouge profond, sang de pigeon.
Des poèmes, elle en avait écrit tellement, avant.
Plus de cent, plus de sang, mais c'était avant.
Et à présent, le temps était à l'attente.
L'attente, c'est du silence, juste du silence, l'attente, c'est une page blanche qu'on n'aurait pas le droit de remplir.


Éditions Héloïse d'Ormesson - 212 pages