Et les souvenirs refont surface dès le premier récit puisqu'il est question d'un vieux, d'un dentiste et d'un maire ayant quelque souci de sudation. Vous l'aurez compris, avec La reconstruction de la cathédrale, Sepulveda s'amuse l'espace d'une dizaine de pages à ressusciter les protagonistes du roman qui l'a rendu mondialement célèbre. Cette suite, non dénuée d'humour, donne aussi le "la" à l'ensemble du recueil. Le lecteur comprend très vite, que l'exil et la mélancolie sont au centre de ces mille et une nuits chiliennes.
Après cette première étape dans les souvenirs littéraires, le voyage se poursuit à bord de l'Hôtel Z perdu au fin fond de la forêt, dans les rues d'Alexandrie, en Allemagne ou en Espagne. Mais toujours les fantômes traversent les récits; ils sont au cœur de l'écriture de Sepulveda et ont ceci de particulier que certains ont réellement existé. Tout au long des 12 récits que forment l'ensemble, la réalité est étroitement liée à la fiction et il est bien difficile de démêler l'invention des souvenirs. Au cours de ces pérégrinations, vous croiserez entre autre Butch Cassidy, Miguel Angel Estrella ou Hugo Araya Gaonzalez.

Chaque nouvelle est un univers en soi et j'ai retrouvé cette capacité merveilleuse qu'a Sepulveda à nous faire oublier le monde qui nous entoure. Dès que l'on ouvre le recueil et que l'on se perd dans les mots de l'auteur, c'est la même magie qui opère : les personnages et paysages sortent des pages dans lesquelles ils étaient enfermés pour envahir votre espace. Ils sont là, près de vous, et vous murmurent leurs histoires. Sepulveda se fait tour à tour bateleur, conteur, mémoire collective.  Mais l'on sent aussi l'homme meurtri, l'apatride en manque de sa terre natale, le poète exilé. Pas une histoire qui ne soit emprunte de ce sentiment tenace d'abandon et de nostalgie.

De tous les tableaux que nous propose Sepulveda, un m'a tout particulièrement touchée. Dans Un dîner en compagnie de poètes morts, Luis Sepulveda rend hommage à ses compatriotes, morts suite au coup d'État de 1973. Loin d'être triste, ce récit-souvenir est une rare leçon de générosité et comme le petit cireur, je suis restée émerveillée devant ces figures de la littérature chilienne.
La lampe d'Aladino est donc un très beau voyage en terre de souvenirs et de légendes. Sepulveda, une fois de plus, a réussi à me conquérir.

Voir aussi les avis de Hilde et Essel.

Du même auteur : Le vieux qui lisait des romans d'amour, Journal d'un tueur sentimental, Le monde du bout du monde, Histoires d'ici et d'ailleurs, Dernières nouvelles du Sud, Les roses d'Atacama

Laurence

Extrait de L'arbre :

Sur l'île de Lenox, il y a un arbre. Un. Indivisible, vertical, irréductible dans sa terrible solitude de phare inutile et vert dressé dans la brume des deux océans.
C'est un mélèze maintenant centenaire, le dernier survivant d'une petite forêt détruite par les vents australs, les tempêtes à côté desquelles l'idée d'enfer chrétien est une plaisanterie, la lame implacable du gel qui fauche le Sud du monde.
Comment est-il arrivé dans ce domaine réservé au vent? D'après les insulaires de Darwin ou de Pincton, il aurait voyagé dans le ventre d'un outarde, comme une semence migrante prête à germer. Voilà comment il est arrivé, qu'ils sont arrivés, se sont frayés un chemin dans les failles des rochers, ont pris racine et grandi dans la plus rebelle des verticalités.


Éditions Métailié - 134 pages