Pour ce septième roman, Jean-Philippe Blondel nous brosse le portrait d'une filiation littéraire : Hugo, jeune bachelier, vient poursuivre ses études de lettres à la capitale pour fuir sa famille en se plongeant corps et âme dans ces romans qui le sauvent de lui-même. Il loge chez Jean Debat, un vieil homme taciturne, presque misanthrope. Ces deux-là n'ont, semble-t-il, rien à partager; ils s'évitent même consciencieusement. Hugo a tant à faire, tant à découvrir.... et son logeur paraît si inintéressant.
Mais voilà qu'au détour d'une soirée, Hugo déniche un roman, À contretemps, publié dans les années 70 par un certain Pascal Cami. Quelques jours et un malentendu plus tard, Hugo comprend que Pascal Cami et Jean Debat sont une seule et même personne.
A contretemps est donc à la fois le titre du roman de Camis, celui de Blondel et l'état dans lequel se trouvent les deux protagonistes principaux. Un contretemps en quatre temps.
Jean-Philippe Blondel, par la voix de Hugo, nous parle de lecture, de lecteurs, et donc forcément de nous qui pénétrons son roman. L'identification est évidente, limpide et ce, même si Hugo a à peine quitté l'adolescence. Le plaisir si particulier qui nous envahit quand on se plonge dans un livre n'a pas d'âge et l'on retrouve ça et là, nos propres manies et habitudes. On se sent en pays connu, on se sent reconnu, le temps d'un mouvement, le temps d'une ouverture. Mais le deuxième temps s'annonce déjà, le temps des confidences d'un auteur oublié.
Jean-Philippe Blondel laisse alors toute la place à ce vieil homme devenu auteur presque par accident. Il raconte le parcours de ce premier roman, l'appel de l'éditrice, les soirées mondaines, les dédicaces et les espoirs follement déçus. Mais que Hugo se rassure, Jean est guéri de la littérature. C'est en tout cas ce qu'il ne cesse d'affirmer. Jean-Philippe Blondel accorde alors à ses deux personnages un pas de deux supplémentaire pour poursuivre leur histoire commune.
L'écriture de ce septième roman est bien plus sereine que les fois précédentes. Il n'y a ni la violence sourde de Passage du gué ni l'acidité de This is not a love song. Mais loin d'être décevant, ce calme nous permet d'être tout à l'écoute de Jean et Hugo. On se fait aussi discret que possible pour ne pas les déranger et écouter les confidences du sage et du disciple. Chacun à un bout de la chaîne, ils tissent et dé-tissent les relations avec beaucoup de pudeur et de retenue. Un roman apaisé donc, mais où l'on retrouve cet art du portrait que Jean-Philippe Blondel maîtrise si bien.
Voir aussi l'interview de Jean-Philippe Blondel sur ce même site.
Du même auteur :
6h41
Et rester vivant
G229
Le Baby-Sitter
1979
Accès direct à la plage
Un minuscule inventaire
Juke box
Passage du gué (Prix Biblioblog 2007)
This is not a love song
Un endroit pour vivre
Au rebond
Laurence
Extrait :
« C'est quoi, votre livre préféré? » Je suis étonné par la brusquerie de ma voix. Je ne me reconnais pas. Je me calque sur sa façon de parler. Je me dis qu'il va m'envoyer paître, mais pas du tout. Il n'a pas l'air gêné le moins du monde. Il tâte le bout de ses pieds, se recule, humecte son pouce et nettoie une tache sur le cuir de sa bottine. « Aucun. Et vous ? » Je cite des titres, des auteurs, cinq, six, sept, entrecoupés de quelques secondes de silence. Jean Debat a un mauvais sourire. Il fait remarquer qu'il faut n'en choisir qu'un. Je me plonge dans mes souvenirs. Je ne voudrais pas en oublier. Je ne voudrais pas être injuste. Je m'en veux d'avoir lancé ce sujet de conversation. C'est idiot. Les titres et les couvertures se bousculent dans mon cerveau, je ne parviens pas à me décider. Je relève la tête, mais Jean Debat est déjà debout. Il époussette des miettes imaginaires - des pellicules peut-être. Le sourire a disparu. Le gin tonic est vide. Il repose son verre à la cuisine. De là, il tonne « La Recherche. Proust. Il n'y a rien au-dessus de Proust. Ou alors Fitzgerald. La Fêlure, mais ce n'est pas un roman, c'est une nouvelle. Sinon, L'ABC du bricolage ou Les Tartes de Julie. Au moins, ça sert à quelque chose. ». En trois enjambées, il est dans sa chambre. Il la ferme à double tour.
Éditions Robert Laffont - 240 pages
Commentaires
mercredi 14 janvier 2009 à 09h44
Ton avis est bien plus enthousiaste et inconditionnel que ceux que j'ai pu lire jusqu'à présent.
mercredi 14 janvier 2009 à 10h01
très beau billet qui donne envie de se plonger sereinement dans ce roman, sans hâte pour le savourer.
mercredi 14 janvier 2009 à 12h42
On sent dans ce billet toute l'émotion qui a été celle de la lectrice, et l'envie de la partager en découvrant ce livre naît irrésistiblement...
F.B.
mercredi 14 janvier 2009 à 13h58
Tu parles très bien de ce livre et de cet auteur ... On sent, à travers ton écriture, combien tu es attachée à le suivre depuis ta découverte. Je n'ai rien lu de cet auteur mais pourquoi ne pas commencer avec celui-ci !
mercredi 14 janvier 2009 à 14h26
je ne lis pas, je ne lis pas ce billet ;-)))) Nous pourrons comparer, partager après ma lecture.

Mais ciel comme il est difficile de résister !!!
mercredi 14 janvier 2009 à 19h14
In Cold Blog : Insinuerais-tu que j'ai perdu toute impartialité?
Plus sérieusement, oui, je revendique un attachement particulier à la plume de cet auteur. J'y trouve une impression familière, un refuge. Ces retrouvailles ne sont certes pas aussi passionnée que dans les derniers romans, mais j'ai justement apprécié cet apaisement.
Merci Laure de ton commentaire. Ta présence est rare ici, je savoure donc d'autant plus ta remarque.
FB, oui, la lectrice que je suis s'est reconnue dans cet adolescent pourtant si loin d'elle (aïe, je parle à la troisième personne comme Delon
). J'ai aimé cette idée de "porosité" (il faut lire le roman pour comprendre
) et si je deviens poreuse parce que je transmets, alors tant mieux.
Nanne si tu n'as rien lu de cet auteur, ce roman est effectivement peut-être un bon début. Mais surtout, il faut ensuite lire "Passage du gué" !
Dédale :
mardi 27 janvier 2009 à 11h31
Je viens de terminer ce nouveau roman de JP
Maintenant, je peux lire ton billet. Yes !
vendredi 30 janvier 2009 à 07h22
Dédale : et alors? ça t'a plu?