Et si un matin, en ouvrant votre fenêtre, vous découvriez une chaussure sur le toit d'en face, quelle serait votre réaction ? C'est en partant de ce non-événement, que Vincent Delecroix a construit son roman choral : dix chapitres, dix habitants d'un immeuble, dix versions. De ce procédé, somme tout classique en littérature, Vincent Delecroix réussit à nous proposer un roman plein de charme et d'humour.

Commençons par nous placer du côté de la chaussure, puisqu'elle est l'héroïne de cette histoire. Face à elle un mur de fenêtres - comme celles de la chanson de Brel - qui cachent chacune une existence et mille et un secrets. Derrière les rideaux, des histoires se nouent et se dénouent, des voisins se croisent sans se connaître. La chaussure est le témoin privilégié de ces mini-drames qui se jouent dans l'intimité des appartements. Notre chaussure donc, a tout loisir d'observer les habitants de cet immeuble proche de la gare du Nord. Il y a une petite fille insomniaque qui rêvasse devant sa fenêtre, un cambrioleur d'occasion, une adolescente amoureuse d'un sans-papier, un présentateur télé qui tente une expérience philosophique, des héros de la mythologie grecque, un jeune séducteur à la recherche de sa cendrillon, un chien, une vieille dame et un pompier ou encore un artiste conceptuel. Chacun a sa version des faits, son explication, et évidemment, aucune de ces explications n'est compatible avec les autres. Le dernier chapitre permettrait alors au lecteur de démêler le vrai du faux... À moins que l'auteur ne lui réserve un dernier pied de nez.

J'ai réellement apprécié ce roman. Il a tout d'abord une qualité remarquable puisque chaque chapitre a une voix singulière. L'auteur a en effet réussi à ce que chacun de ses protagonistes ait une façon bien particulière de s'exprimer, sans que cela verse pour autant dans la caricature, et le lecteur a réellement l'impression que dix personnes différentes viennent apporter leur pierre à l'édifice. Si je le souligne, c'est que souvent, quand un roman est censé avoir plusieurs narrateurs, si les points de vue sont effectivement différents, l'écriture elle est uniforme, ce qui n'est pas le cas ici. En ce sens, le pari du roman choral est pleinement réussi. Vincent Delecroix s'amuse aussi à glisser de multiples mises en abîme, qui donnent une saveur toute particulière à l'ensemble.
Quant aux versions proprement dites, même si une ou deux m'ont laissée relativement insensible, elles sont pour la plupart assez bien vues et mettent en exergue la solitude partagée de ces voisins si proches et pourtant si éloignés.
J'aurai donc attendu 1 an et demi avant de pouvoir lire ce roman, mais la rencontre aura été à la hauteur de mes espérances.

D'autres blogueurs ont également lu ce roman : So et Katell ont aimé, mais ce n'est pas le cas de Michel et Joëlle.

Laurence

Extrait :

Secourisme

[...] Tu comprends, lui-dis-je, ça finissait vraiment par m'agacer, d'avoir ça tous les jours sous mes fenêtre. Je sais bien que je n'habite pas dans le XVIe ou le VIIe (il m'avait regardé, d'ailleurs, pour m'y trouver un appartement, mais d'abord c'est trop cher et ensuite, je suis bien ici, quoiqu'il en dise : je ne vois pas en quoi je serais particulièrement en danger, et puis j'aime plutôt bien les gens, dans cet immeuble, surtout cette petite jeune fille noire, jolie comme un cœur, qui me demande toujours de mes nouvelles quand nous nous croisons dans l'escalier, mais elle ne sort plus de chez elle en ce moment), ce n'est pourtant pas une raison pour que ça devienne un dépotoir, non ? Il approuve. D'accord, la vue n'est pas mirobolante, certaines fois, même, c'est un peu déprimant, le gris du ciel, le gris des voies ferrées, mais j'aime bien ça regarder les trains qui passent. Bon, bref. Tout ça pour dire que voir tous les matins cette vieille chaussure traîner sur le toit d'en face, je trouvais ça vraiment déplaisant. [...]


Éditions Gallimard - 218 pages