Contrairement à ce que laisse supposer son titre, “La Famille Royale” n’est absolument pas une fiction historique. Nous sommes au 20° siècle, à San Francisco, dans les quartiers mal famés. Dès le début, l’auteur nous plonge littéralement dans les bas fonds de cette ville, au côté d’Henry Tyler, médiocre privé, amoureux de la femme de son frère. Le milieu des prostituées est décrit avec un réalisme surprenant, dérangeant et parfois écœurant. Pourtant, ce livre est tout sauf obscène. Vollmann ne juge pas, il dissèque, il cherche à comprendre chacun de ses personnages. Et il réussit à faire jaillir l’étincelle d’humanité cachée dans la boue et les égouts de ces vies gâchées. Même les personnages les plus abjects, comme Dan Smooth le pédophile, sont racontés avec une certaine empathie. Mais le plus remarquable est sûrement la prose de l’auteur. Magnifique, elle transcende les situations les plus glauques et pathétiques, et navigue entre le sordide et le mystique.
Bien sûr ce livre n’est pas à conseiller à n’importe qui. La longueur tout d’abord découragera certains (936 pages). Mais surtout, il faut avoir le cœur bien accroché pour pouvoir supporter cette plongée en apnée dans la vase des destins les plus immondes. Malgré tout, cela reste un très beau livre. L’auteur a su regarder en face, et sans jugement, une partie de la société américaine, si souvent oubliée du reste de la population. Pour ne pas choquer les sensibilités, j'ai choisi des passages "softs".
Laurence
Extraits:
Le bonheur succède au chagrin, le chagrin succède au bonheur, mais quand on cesse de faire la distinction entre le bonheur et le chagrin, une bonne et une mauvaise action, alors on devient capable d’atteindre la liberté. (enseignement de Bouddha)
Ils se réunirent tous par une nuit sombre et chaude dans une chambre du Lola Hôtel dans Leavenworth Street, la chambre de Lily en faut, une tombe d’infâme désespoir transformée par ses soins en une ruche rêveuse de noble démence où elle pouvait se reposer et se défoncer derrière des portes closes, cesser de chercher des solutions mais chercher néanmoins quelque chose qui dans le cas de Béatrice serait Dieu mais qui, dans celui de Lily, consistait en une flamme de bougie palpitante qui dissipait les ténèbres en elle jusqu'à ce que la cire ait fondu et qu'elle soit obligée de ressortir pour vendre le trou entre ses jambes, hier encore un pénis, et qu'elle considérait aujourd'hui comme du tissu ni masculin ni féminin, un simple orifice dont le fonctionnement, comme celui de son anus, conditionnait la santé de son corps — pas de client égale pas d'argent, et sans argent elle allait de nouveau vomir dans l'évier. L'héroïne lui éclairait le chemin, tout comme le faisait la Reine, mais comme également le faisait ce qu'on aurait pu tout aussi bien appeler le perfectionnement des connaissances personnelles.
D'une mobilité inégale, dotée d'une force de frappe supérieure, elle s'abattit enfin sur lui comme le jugement dernier. Elle le tisonna et le lacéra avec ses cils amoureux, le hameçonna profondément de la pointe de ses cils jusqu'à ce qu'il pende bouche bée comme une truite, empalé et sanguinolent d'admiration pour ses yeux ; mais alors même qu'il paraissait vaincu, il parvint à se dégager, et son meilleur ami se rua dans la brèche pour la courtiser, pour voir si elle le laisserait semer sa récolte pendant que l'autre garçon pansait ses plaies, en sécurité derrière les lignes. L'envoyant valdinguer de côté, elle poursuivit sa proie, déchirant murs et fenêtres de son regard, mais il savait parfaitement quoi faire, et il s'abrita derrière une grosse au doux visage qui n'arrêtait pas de rabaisser son pull sur sa bedaine luisante. Bientôt, il tira d'elle toutes les notes de l'attente stridulante. De même que certaines femmes furieuses s'arrachent de pleines poignées de cheveux, de même la fille à l’esprit pieuvre cingla son sang furieux avec les tentacules nerveux de son désir. Tel un oiseau à la vue perçante, elle repéra gosse fille, dépouillée et vaincue, qui sanglotait de désir pour qui l'avait aimée. Une autre nouvelle amie ! Les pièges de l'amitié s'étendirent dès lors rapidement. Elle lui frotta habilement le dos avec ses tentacules vibrants, l'obligeant à s'ouvrir, obtenant du coup sa coopération. Elle se livra, brutalement, en un flot entrecoupé de sanglots, elle lui raconta comment il avait embrassé son ventre comme s'il s'agissait d'un dieu... Quand elle eut fini d'écouter la grosse, après l'avoir traite goutte à goutte, tendrement, elle la repoussa dans la fosse de ses larmes sirupeuses, la laissant gémir à l'envi.
Éditions Actes Sud - 936 pages
Commentaires
vendredi 23 novembre 2007 à 15h58
Hello, très bon résumé, j'ai bien aimé ce roman, merci pour le conseil, je m'attaque maintenant à Central Europe mais c'est un peu plus hardu (surtout au niveau de l'Histoire, je ne suis pas très calé
)
dimanche 25 novembre 2007 à 08h50
Bonjour Kousin
Ravie de savoir que vous avez aimé ce roman. Après plus de deux ans je garde encore de cette lecture un souvenir très net. Quant à Central Europe, n'étant pas très versée dans cette partie de l'Histoire, je ne sais pas si je vais tenter l'expérience.
mardi 19 janvier 2010 à 14h08
Bonjour, je suis d'accord avec votre critique, Vollmann a évité l'obscène et pourtant les pages défilant, j'ai perçu olfactivement cette ville : le crack, la dope, l'odeur des tasses de café, le sperme, etc...
Ce n'est pas un livre évident mais la lecture opère d'elle-même, c'est un livre qui rend intelligent. Je vous conseille du même auteur Central Europe...
mercredi 20 janvier 2010 à 09h53
Bonjour Thomasguillen et merci de votre passage ici. J'ai lu ce roman il y a maintenant bientôt 5 ans mais j'en garde encore des sensations et des souvenirs très précis...