Matthew McIntosh, jeune auteur de 27 ans, fait partie de la génération télé, main scotchée à la télécommande. Son écriture s’en ressent. J’ai eu l’impression pendant toute la lecture d’avoir à côté de moi un forcené du « zapping ». Car Well ne peut-être défini comme un roman. C’est la juxtaposition de portraits disparates, esquissés avec plus ou moins de talent. Il n’y a aucune cohésion ni cohérence dans cet enchevêtrement, si ce n’est la misère humaine des protagonistes. Chaque tableau est à peine ébauché, abandonné au hasard, et l’impression d’arriver et de partir en cours de programme est vraiment persistante. Mais peut-être que Matthiew McInstosh n’avait pas matière à achever un seul des tableaux.
Pourtant, le style aurait pu combler cette impression de vide. Il y aurait pu avoir autant d’écritures que de personnages, la narration étant omnisciente. Mais tous les protagonistes pensent et s’expriment de la même façon : dans un style pauvre et plat. Non, vraiment, je ne comprends pas l’enthousiasme qu’a pu soulever ce livre en septembre dernier.
Laurence
Extrait :
Nate rêve qu'il est debout au-dessus d'un énorme aquarium dans lequel il pisse abondamment; plus il pisse, plus il a envie de pisser. Il a l'impression de pisser pendant des heures. Il finit par ouvrir les yeux. Il fait noir. Ils se sont endormis. Putain, il a raté le match. Repoussant Sammie de son épaule, il se lève, il se penche pour remettre la couverture sur les seins de Sammie. Elle bouge légèrement, sans se réveiller. Sa lèvre inférieure est gonflée; il discerne dans la pénombre un bleu sur le bas de sa joue. Il faudra qu'elle consulte un dentiste. Prévenir Non patron, pour ce soir, dire qu'elle pourra pas bosser, qu'elle est malade. Il a soudain envie de l'embrasser, mais il s'engouffre dans le couloir. Dans les toilettes, il lâche un jet de pisse qui se partage en deux— résultat du coup réparateur tiré avec Sammie — aspergeant simultanément sa jambe et le nouveau rideau de douche qu'elle vient d'accrocher. Merde! Il se retient, nettoie le tout avec du PQ, s'assied sur la cuvette, se lâche. Soulagement. Puis il tire la chasse, retourne au salon, enfile son caleçon, prend la télécommande. Il s'assied au bord du canapé, à côté de la tête de Sammie. Allume la télé.
Elle pose sa main dans le creux de son dos. La télé — crépitements, éclairs bleus — crache l'image. Nate prend quelques Percocet dans le flacon de Sammie, les avale sec. Zappe à la recherche d'un résumé sportif. Sans succès. Il aurait dû appeler à Sammie la note du câble. Avec le câble, il connaîtrait le résultat du match. Résigné à attendre, il s'arrête sur les infos.
Editions du Seuil – 286 pages.
Commentaires
mardi 1 août 2006 à 18h28
je ne suis pas un forcené du commentaire mais je tenais à défendre ce livre dont la filiation avec l'oeuvre d'hubert selby jr est patente. Evidemment si on n'aime pas ce dernier, inutile de toucher à WELL. Sinon, bienvenue dans l'amérique profonde des perdus, des égarés et des ratés, les enfants d'une société sans pitié qui les lâche dans la misère, la violence et le chagrin. Ce livre n'est pas un roman, c'est un collage de voix, dont le but n'est pas de former une histoire, mais de faire déferler dans notre un esprit, à travers un style oral et direct, un chaos d'émotions, de moments, d'histoires qui disent le désespoir, le vide, l'échec d'une frange de la population à qui il ne reste pas grand chose. L'un des personnages dit à un moment que "parfois, les hommes sont prisonniers des parties les plus obscures d'eux-même" et "qu'ils n'ont pas besoin d'être réconfortés, mais d'être sauvés". Il y a là l'essence de ce livre.
Ce blog, laurence, est en tout cas intéressant et je t'invite à découvrir le mien www.khadr.wast.org et éventuellement à discuter d'autres oeuvres.
mardi 1 août 2006 à 20h55
J'ai ce livre chez moi, je l'ai acheté à mon mari qui en avait entendu des échos mais il ne l'a jamais lu, j'ai commencé à le lire, je n'ai pas accroché et contrairement à toi Laurence, je ne suis pas tenance, je l'ai abondonné
Vu ce qu'en dit Khadr, il se pourrait que je refasse l'effort de le reprendre, je n'aime pas voir un livre abandonné...
Vu que je ne connais pas "hubert selby jr", je vais tenter d'aborder les univers de ces messieurs avec le style du petit jeune...
Pour rebondir sur ce que tu dis Laurence, j'ai parfois l'impression que les journalistes qui encensent un livre ne l'ont pas lu...et ça m'agace au plus haut point !
samedi 5 août 2006 à 10h25
Khadr > Je n'ai jamais lu les oeuvres de hubert selby jr et ne peux donc faire de comparaisons. Je revendique pourtant le droit de m'être ennuyée à la lecture de ce livre. Après tout, il y a autant de versions d'un roman que de lecteurs. Pour moi, point de chaos d'émotions mais plutôt un grand vide. Sur la misère de l'mérique profonde, j'ai largement préféré "La famille Royale" de William T.Vollman
Wictoria > Si tu le lis, reviens nous dire ce que tu en penses. Je serai très curieuse d'avoir ton avis.
jeudi 14 septembre 2006 à 15h28
Effectivement c'est très largement pompé sur l'oeuvre de Hubert Selby, jr. Je n'ai pas encore fini Well, mais ça ne saurait tarder. Car je le dévore avec délectation...
Moi même j'écris pas mal de tranches de vie. Et malheureusement, et même si je m'améliore au fil des années, je crains que jamais j'arriverai à rivaliser avec ces deux Messieurs de l'écriture.
lundi 22 février 2010 à 20h21
sans vouloir être méchant, le festin nu de burroughs est aussi un roman où le zapping est de rigueur, et je ne pense pas qu'il n'ait jamais été un zapping addict;)