Évidemment, l’intrigue se noue autour de l’abandon d’Elvire. Mais, durant la pièce, Dom Juan n’aura que peu l’occasion de prouver ses talents d’enjôleur. Ses seules proies sont deux paysannes, faciles à conquérir. Dans cette scène de séduction, une des rares qui soient réellement comique, Dom Juan est finalement ridiculisé, et sa réputation est mise à mal. Quelle gloire tirer de cette conquête ?
Mais si pour Molière, Dom Juan n’était pas un séducteur, qu’était-il ?
Un amoureux peut-être. Un amoureux au sens large bien sûr. Dom Juan est un assoiffé de la vie, un épicurien pour qui la quête est un art de vivre, une façon de se libérer des contraintes de la société. Il est d’ailleurs plus intéressé par le chemin à parcourir que par la victoire, qui finalement a beaucoup moins de saveur. C’est pour cela qu’il part une fois que la femme lui cède. Il n’y a plus de gloire à en attendre. Le mariage signe la fin de cette recherche de l’absolu.
Et ne croyez pas qu’il réserve ce comportement à ses seules conquêtes féminines. Il joue ainsi avec tous ceux qui croisent son chemin. Tel un parieur, un joueur invétéré, Dom Juan provoque en permanence pour se prouver à lui-même qu’il existe. Sa relation avec le ciel participe du même phénomène. Dom Juan cherche, s’interroge et s’emporte faute de réponses. Incapable d’idéalisme, il a besoin de concret, de dimensions sensorielles et logiques. Tel Saint Thomas, il provoque l’Éternel pour vérifier sa réalité. Cette quête le mènera à la mort. Molière a très bien su mettre en évidence le paradoxe du conquérant qui atteignant son but perd l’objet même qui le tenait en vie : la recherche.
Mais résumer cette pièce sans parler de Sganarelle est impossible. Sganarelle est en effet indissociable de son maître. Tout d’abord, comme tous les valets de théâtre, il a un rôle purement didactique et informatif puisqu’il nous permet d’accéder aux pensées de son maître. Son nom, issu de l’italien, signifie « ouvrir les yeux », et il est bien celui qui tentera d’ouvrir les yeux de Dom Juan et des spectateurs. Sganarelle est là pour nous faire réfléchir. C’est un personnage récurrent que jouait Molière et celui à travers lequel il s’exprimait souvent. Mais dans cette pièce, il est avant tout le miroir de Dom Juan, son double, sa conscience. Alors que Dom Juan, affranchi des contraintes sociales, laisse libre cours à ses pulsions, son Ça, Sganarelle lui, empêtré dans les traditions et les superstitions, écoute son Sur-Moi. Séparés, ils ne sont que des moitiés d’hommes, ensemble ils symbolisent notre propre dualité. Ce couple ne fait qu’un, et nous parlent de nos conflits intérieurs.
Avant d’être une pièce sur un séducteur, c’est donc une pièce sur un homme qui doute et qui cherche. Un être vivant quoi.

Laurence

P.S. : Chers lycéens, puisque les profs ne sont pas originaux et que vous l’étudierez sûrement, je vous demande de respecter la propriété intellectuelle et de citer les sources des passages que vous utiliserez. Merci. :)