Vous trouverez dans ce recueil une dizaine de nouvelles aux noms aussi évocateurs que : Les demoiselles d'Avignon, La platane et le cigalon, Le jour des paupiettes ou La main de l'artiste. Gérard Sire est un auteur héraultais, et l'on retrouve dans ses lignes la poésie des après-midi du bord de la méditerranée : quand le soleil cogne fort et que tout le monde s'abrite derrière les persiennes. Ses récits sont pleins d'humour et de tendresse. Certains nous font voyager et nous embarquent pour les Etats Unis ou l'Angleterre, d'autres revêtent des allures inquiétantes et fantastiques.
Au final, c'est une petite bulle de bien être qui se dégage de ce recueil, dont je vous propose un extrait juste après.

Du même auteur : Papillon de nuit

Laurence

Extrait :

Dans tout le département, on connaissait le restaurant de Mathilde Paluzier. C'était un modeste établissement, situé derrière la poste, dans une petite rue où Dieu merci les touristes ne s'aventuraient guère car elle était trop sombre pour qu'on pût y prendre des photographies et trop étroite pour qu'on y circulât en automobile.
D'ailleurs, un étranger fût-il passé devant le restaurant, rien ne l'eût engagé à y pénétrer. La façade était d'un gris délavé. Aucune enseigne ne la signalait au regard. Et le menu réglementairement affiché à la porte n'avait alléchant car l'énoncé des plats était des plus simples : gibelotte maison, boeuf mironton, poisson au vin blanc, etc... Toute à ses fourneaux, Mathilde se préoccupait fort peu des détails de présentation, et si elle avait dû se pré-valoir d'une devise, cette devise eût été «Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse».
Ceci pour vous dire que son établissement ne payait pas de mine et ressemblait même fort à ce que l'on nomme une gargote. Mais ceux qui en franchissaient le seuil savaient que la cuisine y était délectable. Que Mathilde, alchimiste de l'espèce la plus rare n'avait pas sa pareille pour lier une sauce, pour faire mitonner une daube dans un amalgame secret d'herbes, de condiments, de vins et de petits oignons, pour donner à de simples omelettes au jambon une saveur insoupçonnée.
Et tout cela à partir d'ingrédients d'une aimable rusticité. Carottes de son jardin et vin clairet de ses vignes. La seule chose un peu mystérieuse qui entrait dans la préparation de ses plats, c'était son amour, son immense amour pour la cuisine. Elle ne vivait que pour ça. Et, à cinquante ans passés, elle était encore demoiselle, n'ayant jamais pris le temps de songer au mariage.
(...)
Pratiquement, aucun étranger ne venait s'égarer chez Mathilde. A cause de la situation géographique de son établissement. A cause, également, du mur de silence dont le protégeaient les autochtones. Il arrivait qu'un touriste ou un voyageur de commerce s'arrêtât place de l'Eglise ou devant le square Sainte Thérèse et demandât à un passant s'il n'existait pas un bon restaurant dans le coin. On l'envoyait au Bijou-snack ou au self-service de Titou. Si son automobile indiquait un certain standing on lui suggérait l'Hostellerie du Prince Bertrand, sur la route d'Avignon. Mais jamais, jamais, on ne lui parlait du bistrot de Mathilde. Le bistrot de Mathilde, c'était quasiment un secret d'Etat.
Un jour, pourtant, un étranger entra chez Mathilde. (la Platane et le Cigalon)


Editions HB - 164 pages
Ce livre, édité par une petite maison d'édition gardoise il y a 10 ans, est devenu difficile à trouver.