Si vous n’appréciez que les livres prédigérés dans lesquels les mots sont posés au hasard et dont le seul objectif est de fournir aux lecteurs paresseux une intrigue formatée avec des personnages balisés, passez votre chemin.
Ludovic Bablon n’a pas choisi la facilité commerciale, occidentale, mais l’entreprise littéraire. En lisant son “roman”, j’ai voyagé en apnée dans un univers poétique et exigeant, bien souvent bouleversant. Cette œuvre, dans laquelle l’auteur se livre sans compromis, parle de parcours, de mal être, de folies et d’humanité. Le chemin n’est pas toujours facile à suivre, et on peut regretter certaines longueurs. Mais si vous acceptez de perdre vos repères, de partir à la découverte de terres inconnues, une très belle rencontre vous attend. Merci donc à Ludovic pour cette expérience nouvelle et cet amour du verbe. Et pour une fois, je n'en dirai pas plus, l'auteur a raison : allez de vous même à sa rencontre, seule la lecture de son roman pourra vous faire comprendre ce que je ne saurais exprimer ici.
Vous pouvez également lire l'interview que l'auteur m'a accordée.
Extrait :
Ici radio dans-la-tête, et que personne ne bouge. L'info de ce soir est qu'une armée secrète d'oiseaux citadins mange du fer et tyrannise de dociles végétaux urbains. Faits souhaitables : absorption massive par la racine des plantes de résidus décomposés de benzodiazépines jetées par les habitants ; stationnement le plus court possible du véhicule de la maîtresse devant le domicile de l'amant, et génération automatique de simulacres d'amour; acceptation réciproque des déformations imaginaires d'autrui à l'aide du plus connivent des silences. Stop, j'ai dit. Que personne ne bouge.
Ici radio vivant, en direct de l'étrangeté, ce soir. Nous écoutons mais nos voix ne passent pas. Nous sommes des millions d'êtres bloqués les uns contre les autres à nous enfariner, à boire le lait au sein de l'existence. La diffusion est : sept jours sur sept. La semaine est une femme malchanceuse accouchant chaque lundi de portées septuplées. C'est trop pour une seule femme. Nous nous occupons de ces enfants. Chaque jour, nous nous levons exprès pour dire, Journée, voici ton lait que tu bois à mon sein; nous déjeunons ensemble et nous travaillons, nous partons en voiture à cause de l'Europe, nous sommes assis sur des fauteuils, des chaises, dans des salles d'attente baignées par la musique de radio médecine infiltrant les meubles salopés en skaï. Le terrain que nous occupons et couvrons est chaque fois plus immense. Par vagues concentriques, à partir de nous-mêmes, nous établissons des bases de plus en plus lointaines. Dans la terre meuble, avec la mort occupée à manger par-dessous, le centre croule, en notre absence. Et il n'y a personne pour préserver le lieu à notre place. Quand nous sommes vieux, un très grand cercle nous appartient, dont nous faisons encore le tour à pas lents. Attention à la marche. D'un côté, ce n'est pas nous, de l'autre, ça ne l'est plus – et la chute est facile, et probable. Entre temps, tremblements.
Ici radio amour, l'un pleure et l'instant d'après, il pleure encore ; l'autre rit, et puis l'instant d'après, il réfléchit. Une émission réalisée avec la collaboration de l'air et de la lumière, la participation exclusive du carbone. Notre programme est toujours nouveau, bien que vous l'ayez déjà entendu l'année dernière. Il est rediffusé tard dans la nuit avec les phares des voitures, un bouchon à la frontière française, et dans une étable. Il met ses yeux sur elle puis dans elle. À 5 h du matin, après une nuit de travail, la joie d'entendre les oiseaux et d'aller se coucher. Nous ne rentrons pas toujours seuls, mais rarement accompagnés. Radio amour avec le sperme et les gestes et puis radio rêve avec toutes les absurdités qui débarquent.
Éditions Le Quartanier & Hogarth Press II – 171 pages
Le site de l’auteur.
Commentaires
dimanche 19 juin 2005 à 10h24
Merci Laurence pour cette belle présentation. Cette oeuvre pique ma curiosité, et je vais essayer de me procurer le livre ici. En espérant que ce soit possible.
dimanche 19 juin 2005 à 10h41
Avec plaisir Daniel, si j'ai bien compris, les Editions Le Quartanier sont Canadiennes. Tu devrais donc réussir à le trouver. Ce tirage n'ayant pas encore été trés médiatisé (ce qui ne devrait tarder), j'ai mis en lien le site de l'auteur sur lequel tu trouveras sans doute un bon de commande.