Contre leur volonté, Kotor et sa famille vont faire croître la population vampirique de manière exponentielle. II n'est pas question ici de prédation, puisque les victimes que l'on appelle des "pour-voyeurs de vie" acceptent chaque jour de donner un peu de leur sang à un membre de leur famille devenu immortel. Il y a vampirisation sans aucune violence, dans une entente et une tendresse réciproque.
La menace vient donc de l'extérieur de l'Alfama, des hauts lieux de Lisbonne. Elle résulte de la lutte de deux hommes assoiffés de pouvoir. Paradoxalement la violence, très présente dans le texte, sous forme de tortures et de viols, est le fait des humains qui apparaissent comme des êtres sanguinaires. II y a là un renversement des rôles par rapport à une vision classique et manichéenne des histoires de vampires. Elle atteint son apogée lors de l'attaque du quartier par les autorités dont la description est digne des meilleurs films "gore".
Dans ce roman, la principale quête des vampires n'est pas le sang, elle est bien plus philosophique. En effet, après avoir vaincu la mort telle que nous la connaissons, Kotor, rat de bibliothèque et alchimiste à ses heures perdues, tente de vaincre la “seconde mort”. C'est à dire ne plus être vulnérable à de vulgaires artifices tels le pieu enfoncé dans le coeur, et pouvoir enfin un jour revoir le lever du soleil. II dit d'ailleurs de lui-même qu'il est “le Jean Baptiste d'un nouvel âge de la connaissance et de la croyance, réconciliées.” C'est un véritable plaisir pour le lecteur de pouvoir s'immiscer dans les grandes discussions philosophiques sur la Vie, la Mort et la foi entre le comte et la grande prêtresse de l'Alfama, Clara. A ce propos Kotor ironisera sur le mode de destruction des vampires, expliquant que le crucifix n'a certainement aucun effet sur un vampire qui serait musulman, juif ou hindouiste... idée qui avait déjà été développée dans le roman de Matheson.
Au milieu d'une atmosphère étouffante, violente et fortement érotique, transparaissent également deux très belles histoires d'amour aux issues tragiques. Vous comprendrez donc que ce récit est extrêmement riche, et que chacun, qu'il soit amateur de fantastique, d'histoire d'amour tragique, de discussions philosophiques, d'ésotérisme, de littérature érotique ou de romans d'action, trouvera son bonheur dans ce livre, hélas encore trop peu connu.
article publié in Requiem n°6 - janv/mars 1998
Extrait
Kotor, le premier, apparut sur le pont. Toujours cet énorme col de fourrure. Un colosse, vraiment, par la taille, par le volume. Laurent, puis Barbara, le suivaient. Le manteau noir de Kotor traînait jusqu'au sol. Le frère et la soeur étaient minces, fragiles. Les yeux clairs, transparents. Les joues creuses, pâles. Les longs cheveux blonds très clairs de la jeune fille tombaient sur la grande cape noire. Derrière eux, trois silhouettes.
L'homme à la barre ne tressaillit même pas, ne salua pas. On voyait seulement que l'apparition et la présence de ses maîtres I'emplissaient d'une puissante joie intérieure dont il rayonnait.
Kotor vint à la proue du navire. Laurent et Barbara, l'un à côté de l'autre, serrés, joignant leurs mains, se mirent derrière lui. Les trois autres un peu en arrière. Les yeux de Kotor, presque phosphorescents, brillaient. Il scrutait intensément les ténèbres, maintenant très opaques. Le dernier quartier de la lune, presque à son terme, la réduisait à un mince croissant. Du fond de l'obscurité montaient les lumières palpitantes de Lisbonne. Barbara, inquiète, regarda son père. Prenait-il Lisbonne pour un havre, un refuge ou la regarderait- il comme une proie? Difficile de décider.
Editions J'ai Lu - 250 pages.
Commentaires
mardi 29 janvier 2008 à 00h24
Comme j'ai une grande collection de "J'ai lu", j'étais passé à côté... Je vais donc le dévorer prochainement car ton article m'a donné envie de le lire. A bientôt.
mardi 29 janvier 2008 à 08h13
Bonjour Morgan

Si tu l'as dans ta collection tu as de la chance car malheureusement ce titre n'est plus édité aujourd'hui. Tu viendras nous redire ce que tu en as pensé?