Les livres ont donc d'autres choses à raconter que les mots de leurs auteurs. Ils ont leurs propres pensées, leurs propres émotions. Celui-ci frissonne de ne pas être choisi et d'être destiné au recyclage; tel autre se vante d'être dédicacé; tous jacassent entre eux et philosophent. Ils parlent de nous également, de notre façon de les prendre, de les lire ou de les annoter. Et si nos livres se mettaient à parler, qu'auraient-ils à révéler sur nous ? Beaucoup de chose sans doute. Ce très court roman nous parle de tout cela à la fois. Personnellement je ne regarderai plus mes livres de la même façon, et je ferai dorénavant très attention de ne pas reposer un livre trop rapidement dans une librairie : il pourrait se vexer.
Une petite gourmandise qui ne devrait pas vous laisser indifférents.

Extrait :

Cette attente spasmodique ; presque maladive. Je suis exposé ici maintenant depuis deux semaines ; à chaque visage qui s'approche, la même angoisse. J'étais peut-être mieux dans mon carton. Tout bien fermé, tranquille ; après le traumatisme initial, je m'étais acclimaté. Un genre de sommeil éternel, d'hibernation. Comme ces animaux dont mon auteur parle quelquefois : capables de se reposer pendant cinq, six mois. Mon séjour dans ce carton a même été plus long. Une année, presque entière. J'avais fini là au tout début de l'été, après une dernière exposition au soleil de juillet ; à ma sortie, il y a deux semaines, même ciel pur qu'aujourd'hui : le plein été. De cet azur intense qu'on entrevoit dans la petite tranche d'univers visible depuis l'endroit où je suis. Sur ce point, je n'ai pas été favorisé. Ils m'ont mis sur une étagère dans un angle, assez loin de l'entrée. De l'extrême bout de l'oeil, nous pouvons apercevoir une portion de ciel, modeste en vérité ; à la différence des autres étagères, souvent exposées au soleil des heures durant. Ça m'aurait plu, moi aussi.


Editions Grasset - 84 pages