Paul Auster dans La nuit de l'Oracle nous propose avec maestria des mises en abîmes sur le roman et l'écriture : il nous raconte l'histoire d'un écrivain, Sidney Orr, tout juste sorti de l'hôpital, qui nous raconte à son tour l'histoire de Nick, éditeur New-Yorkais, qui lit le roman posthume de Sylvia Maxwell « La nuit de l'Oracle ». Trois romans en un seul.

Cela pourrait déjà paraître beaucoup, et pourtant, Paul Auster (ou Sidney Orr, on ne sait plus très bien) nous raconte bien pus de trois récits dans cette foisonnante « Nuit de l'oracle ». Je pourrais bien évidemment vous résumer brièvement au moins les trois intrigues-romans principaux, mais ce serait à mon sens une erreur. Il faut pénétrer La Nuit de l'Oracle comme une page vierge sur laquelle l'auteur pourra à son gré façonner son histoire. Car il y a quelque chose d'hypnotisant et de fascinant dans la façon dont ces récits nous sont comptés.

La première chose remarquable, comme l'ont souligné tous ceux qui ont déjà parlé de ce roman, est la fluidité de la narration. On pourrait penser que le lecteur finisse par s'emmêler entre  les différentes intrigues encadrées et encadrantes et les digressions à l'intérieur de chaque histoire  - sans compter les notes base de page, qui nous obligent à reconsidérer notre conception classique de la lecture d'un livre puisqu'elles nous obligent à avancer pour revenir ensuite quelques pages en arrière - et pourtant, tout paraît limpide, évident. On s'égare sans jamais vraiment se perdre, simplement heureux de se laisser prendre par la main et de suivre presqu'aveuglément les tours et détours du romancier.

Et puis, bien sûr, il y a les thématiques qu'aborde ce roman : l'écriture, les liens presque mystiques qui peuvent s'établir entre un romancier et son personnage, la conception du temps, le rapport entre fiction et réalité, l'intertextualité évidemment, la mémoire et l'Histoire, la vie et la mort. Tous les thèmes que la littérature a toujours chéri ; mais ce qui est fascinant ici c'est bien sûr d'avoir l'impression d'être dans les coulisses, de voir ce que l'on ne fait habituellement que deviner ; et ce que j'apprécie particulièrement chez Paul Auster, c'est sa façon de ne jamais trancher, de ne jamais vouloir mettre les points sur les i. Il propose, suggère, laisse des passages volontairement en suspens; au lecteur de faire le travail nécessaire pour interpréter comme il le souhaite les blancs. Décidément, plus je découvre cet auteur et plus je me demande pourquoi je ne l'ai pas lu plus tôt.

Du même auteur : La musique du hasard, Brooklyn Follies, Dans le scriptorium

Laurence
le 20 octobre 2008


Sidney Orr est écrivain. Au décours d'une longue maladie, il entreprend de se remettre à écrire – c'est un besoin, une tension impérieuse. Le hasard de ses pas dans Brooklyn le font entrer le minuscule magasin d'un papetier asiatique, où il tombe en arrêt devant un carnet bleu.

Rentré avec le carnet convoité et les stylos idoines, il s'assied à sa table et écrit, écrit. Bientôt ce carnet va s'avérer plus qu'un simple support : une véritable drogue, ou peut-être une passerelle vers des ressorts insoupçonnés de l'univers. Suspendu hors du temps, il perd le contrôle des mots et trace une histoire qui reflète étrangement la réalité qui l'environne. Entre peur et envie, il remplit le cahier...
C'est l'histoire de la mémoire des choses qui se sont produites, et de celles qui ne sont pas encore arrivées. C'est l'histoire de l'écriture qui témoigne et de l'écriture qui prédit. C'est l'histoire de l'histoire, et parfois elle est troublante. Ce sont aussi, comme souvent chez Paul Auster, des mots qui disent si bien pourquoi on ne peut s'empêcher de faire glisser sa plume sur un paquet de feuilles de papier.

Par Thomas
le 26 juillet 2005

Extrait :

Il y avait aussi une pile de carnets venus d'Allemagne et une autre du Portugal. Les carnets du Portugal me plaisaient tout spécialement, avec leurs couvertures cartonnées, leurs pages quadrillées et leurs cahiers cousis de beau papier couché, et je suis que j'allais en acheter un dès l'instant où je le pris et le tins dans ma main. Il n'avait rien de luxueux ou d'ostentatoire. C'était un objet d'utilité pratique – robuste, familier, commode, pas du tout le genre de livre blanc dont on penserait faire cadeau à quelqu'un. Mais j'aimais sa reliure toilée et j'aimais aussi son format : neuf pouces un quart sur sept un quart, soit un peu plus court et plus large que la plupart des carnets. Je ne peux en expliquer la raison, mais je trouvai ces dimensions profondément satisfaisantes et lorsque j'eus pour la première fois le carnet entre les mains, je ressentis quelque chose de comparable à un plaisir physique, une bouffée de bien-être soudain et incompréhensible. Il n'y avait que quatre carnets sur la pile, chacun d'une couleur différente : noir, rouge, brun et bleu. Je choisis le bleu, celui qui se trouvait au-dessus de la pile.


Editions Actes Sud