Michel Tremblay profite de cet événement pour peindre avec précision tout le petit monde qui compose ce tableau :
Simone qui vient d'être opérée d'un bec de lièvre; Pierrette poursuivie par un beau jeune homme mystérieux, Thérèse la discrète au sourire plein de dents... Mais l'auteur s'attarde également sur tous les personnages secondaires : les différents membres des familles du trio, les Soeurs enseignantes unies par la crainte et le mépris qu'elles portent à la Mères Benoîte, directrice sadique et tyrannique; le jeune frère de Pierrette qui vit dans un monde apparemment imaginaire.... Les portraits sont tracés avec soin et j'ai été emballée par le regard parfois caustique ou attendrissant de Michel Tremblay sur ses personnages.
L'auteur a voulu composer son roman comme une oeuvre de musique. Chaque partie représente un mouvement : Allegro non troppo, Andante moderato, Allegro giocoso et Allegro energico e passionato. Les aventures s'accélèrent et ralentissent donc au rythme de l'écriture. Ce roman est très agréable à lire, et on se laisse facilement emporter par la mélodie des accents et expressions québécois.
“Thérèse pis Pierrette” sont trois jeunes filles attachantes, mais j'ai été très frustrée par la fin abrupte que nous réserve Michel Tremblay. Je conçois que ce type de fin peut-être séduisante en musique, mais je l'ai trouvé déconcertante dans un roman qui avait su prendre le temps d'installer les protagonistes.

Laurence


Tout comme Laurence, j’ai bien apprécié la lecture de ce roman. Il faut dire que je viens tout juste de lire le premier tome des Chroniques du Plateau Mont-Royal et que l’action de ce livre se passe tout juste un mois plus tard, donc en continuité.

Outre les trois petites filles, Thérèse poursuivie par son gardien de Parc, Pierrette qui est aussi un personnage centrale de la fameuse pièce Les Belles-Sœurs et Simone qui découvre les aléas de la «beauté», j’ai été très touchée par la façon dont Tremblay présente la vie en communauté. Ce regard sans complaisance n’est pas non plus un regard de pure horreur. Comme dans tout Tremblay, les personnages sont nuancés, riches et hauts en couleur. J’ai eu un faible pour sœur Sainte-Catherine dans laquelle je me suis bien reconnue… Et la parenté de nom n’a rien à voir… quoi que…

Une autre belle lecture qui donne envie de lire toutes les Chroniques du Plateau Mont-Royal. Mais pour l’instant je me plongerai dans les œuvres plus récentes du prolifique auteur du Plateau Mont-Royal.

Par Catherine
le 13 janvier 2008

Du même auteur : Hôtel Bristol New-York N.Y. , Albertine en cinq temps, Les belles-sœurs, Encore une fois si vous permettez, Hosanna, Le vrai monde?, La grosse femme d'à côté est enceinte, Le cœur découvert, La traversée du continent, Douze coup de théâtre, Un ange cornu avec des ailes de tôle et Pièce à conviction (entretien avec Michel Tremblay)

Extrait :

Les deux fillettes se jetèrent littéralement sur leur amie en poussant des hurlements de joie, clouant Simone dans son escalier, la chatouillant, l'embrassant, lui ébouriffant les cheveux et lui transmettant cette part de joie qui lui revenait de droit : le bonheur de se retrouver, Thérèse, Pierrette et Simone, les trois inséparables, le noyau amputé enfin reconstitué, et de retourner à l'école en se tenant par la taille et en chantant Mes jeunes années ou J'irai la voir un jour, se moquant des jarretières éventées et des lèvres fendues et, surtout, savourant la présence des autres, pleine, totale, enveloppante, à la fois promesse et certitude d'une vie d'où la solitude est à jamais bannie. « Mais c'est ben beau, Simone!» «Ça paraît quasiment pas! » «T'es quasiment pas reconnaissable!» « Mais t'es ben belle!» «T'es ben belle, Simone ! » Oui, c'était la première fois. Et Simone sanglotait de bonheur.
Elles laissèrent la rue Fabre derrière elles et tournèrent à gauche dans la rue Gilford. Elles n'avaient que deux coins de rue à marcher pour se rendre à l'école des Saints-Anges: elles tourneraient à droite dans la rue Garnier et monteraient jusqu'au boulevard Saint-Joseph qu'elles traverseraient sérieusement, en regardant à droite et à gauche, lissant leurs cheveux avec la main ou époussetant leurs jupes de peur de voir une religieuse les montrer du doigt à l'entrée de la cour d'école si elles n'étaient pas absolument impeccables. Simone avait repris sa place entre Thérèse et Pierrette, son énorme sac d'école serré contre elle, les bras de ses amies autour de son cou et de sa taille. C'est toujours ainsi qu'on les voyait déambuler dans la rue Gilford depuis quelques années, les deux grandes encadrant la petite, la protégeant, la guidant comme si elle avait été aveugle ou très fragile.


Éditions Babel - 327 pages