L’intrigue en elle-même n’a rien de révolutionnaire, mais elle tient la route. J’ai été plus séduite par le couple que forment Brunetti et sa femme, par leurs déambulations dans les rues de Venise, par les petits gâteaux qui jalonnent le roman. Je pense que je lirai une autre enquête de ce commissaire vénitien, pour le plaisir de les retrouver, et en espérant que l’intrigue soit un peu plus haletante.

Extrait :

« Est-ce que je ne suis pas supposé entrer, t'embrasser sur la joue et te dire : Bonjour, ma chérie, tu as bien dormi? » demanda-t-il quand il la vit.
Mais il n'y avait aucune trace de sarcasme, pas plus clans son intonation que dans son intention. S'il avait désiré quelque chose, avec cette remarque, c'était tout au plus de mettre le plus de distance possible avec les événements de la nuit, même s'il savait que ce n'était guère réaliste. Retarder, au moins, les inévitables conséquences du comportement de Paola, même si celles-ci ne se réduisaient qu'à de nouvelles joutes verbales, l'un comme l'autre étant dans l'incapacité d'accepter le point de vue adverse.
Elle leva les yeux, médita un instant ses paroles et sourit, laissant ainsi penser qu'elle aussi ne demandait qu'à prolonger l'armistice.
« Penses-tu rentrer déjeuner, aujourd'hui ? » demanda-t-elle, se levant pour aller prendre la cafetière sur la cuisinière et remplir un autre grand bol.
Elle y ajouta du lait chaud et le posa sur la table, à l'endroit où il s'asseyait d'habitude.
Brunetti ne put s'empêcher de se dire, en prenant place, que la situation était plutôt bizarre, et qu'il était encore plus bizarre qu'ils l'aient tous les deux acceptée aussi aisément. Dans un de ses ouvrages d'histoire, il avait lu comment s'était spontanément instaurée une trêve de Noël, dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, entre les Allemands d'un côté et les Franco-Britanniques de l'autre, les Allemands passant d'un côté à l'autre pour allumer les cigarettes qu'ils avaient offertes aux Tommies et aux Poilus, ceux-ci accueillant les Boches avec le sourire. La reprise des bombardements massifs avait mis fin à la trêve. Brunetti se dit que les probabilités que se prolonge cet épisode de calme, entre lui et Paola, n'étaient guère meilleures. Mais autant en profiter pendant qu'il durait, si bien qu'il sucra son café au lait, prit une brioche et répondit :
« Non, il faut que j'aille jusqu'à Trévise pour parler à l'un des témoins de l'attaque de banque. Celle du campo San Luca, la semaine dernière. »


Edition Seuil /Point – 329 pages