Éric Emmanuel Schmitt voulait comprendre comment un être humain pouvait déraper. Comment il pouvait se faire emporter par sa part sombre. Car Adolf Hitler est un humain, soyez en sûr, ce serait trop facile de dire qu’il est en dehors de l’humanité. Et comme tout être humain, sa vie va être guidée par ses choix. Ce ne sont pas les événements qui nous changent, mais ce que nous en faisons, ou plus exactement les décisions que nous prenons face aux divers problèmes qui croisent notre route.
Hitler n’a pas su faire les bons choix. Cet homme va s’enfoncer dans l’horreur parce qu’il ne sait pas se remettre en question, qu’il n’a pas rencontré les bonnes personnes. Ce que ce livre nous raconte surtout, c’est que si Hitler avait pu être Adolf H., nous pourrions tous un jour devenir un Hitler en puissance. Ce livre finalement nous parle beaucoup plus de nous que de Lui. Comment acceptons nous la part de l’autre, cette partie de nous même qui pourrait un jour nous rendre monstrueux ? On ne peut pas non plus s'empêcher de se demander quelle personne on serait aujourd'hui si tel ou tel épisode de notre vie avait été différent.
Ce livre est donc passionnant, tant du point de vue historique que du point de vue personnel. Dans la version de poche, vous trouverez également en fin d’ouvrage, des extraits du journal qu’Éric Emmanuel Schmitt a tenu pendant la rédaction du roman. Et l’on comprend alors la difficulté d’une telle entreprise, les relations parfois étouffantes, qu’entretient l’auteur avec ses personnages.
On ne ressort pas indemne de cette lecture, elle est parfois dérangeante, parfois inquiétante, mais je l’ai trouvée salutaire et instructive sur ce que nous sommes.

Extrait :

— Adolf Hitler : recalé.
Le verdict tomba comme une règle d'acier sur une main d'enfant.
— Adolf Hitler : recalé.
Rideau de fer. Terminé. On ne passe plus. Allez voir ailleurs. Dehors.
Hitler regarda autour de lui. Des dizaines d'adolescents, oreilles cramoisies, mâchoire crispée, le corps tendu sur la pointe des pieds, les aisselles mouillées par l'affolement, écoutaient l'appariteur qui égrenait leur destin. Aucun ne faisait attention à lui. Personne n' avait remarqué l'énormité qu'on venait d'annoncer, la catastrophe qui venait de déchirer le hall de l'Académie des beaux-arts, la déflagration qui trouait l'uni-vers : Adolf Hitler recalé.[...]
Voilà ce qui se passait ce 8 octobre 1908. Un jury de peintres, graveurs, dessinateurs et architectes avait tranché sans hésiter le cas du jeune homme. Trait mal-habile. Composition confuse. Ignorance des techniques. Imagination conventionnelle. Cela ne leur avait pris qu'une minute et ils s'étaient prononcés sans scrupule : cet Adolf Hitler n' avait aucun avenir.
Que se serait-il passé si l'Académie des beaux-arts en avait décidé autrement ? Que serait-il arrivé si, à cette minute précise, le jury avait accepté Adolf Hitler ? Cette minute-là aurait changé le cours d'une vie mais elle aurait aussi changé le cours du monde. Que serait devenu le vingtième siècle sans le nazisme ? Y aurait-il eu une Seconde Guerre mondiale, cinquante-cinq millions de morts dont six millions de Juifs dans un univers où Adolf Hitler aurait été un peintre ?

— Adolf H.: admis.
Une vague de chaleur inonda l'adolescent. Le flux du bonheur roulait en lui, inondait ses tempes, bourdonnait à ses oreilles, lui dilatait les poumons et lui chavirait le coeur. Ce fut un long instant, plein et tendu, muscles bandés, une crampe extatique, une pure jouissance comme le premier orgasme accidentel de ses treize ans.


Éditions Le livre de Poche – 503 pages

Du même auteur :
Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Oscar et la dame en rose, Lorsque j'étais une oeuvre d'art, L'enfant de Noé, La nuit de Valognes, Le visiteur, Le baillon et L'école du diable, Odette Toulemonde, La rêveuse d'Ostende et L'évangile selon Pilate
Brice a eu la gentillesse de poser à Eric Emmanuel Schmitt mes questions. Vous pouvez entendre ses réponses ici