Le narrateur se fait appeler Savini, mais on aurait tout aussi bien pu le nommer Candide ou Lou Ravi, comme on dit chez moi. Savini est persuadé que les puits renferment des bouteilles qui elles-mêmes contiennent des S.O.S. Alors il part de chez lui pour enquêter sur cet étrange phénomène.

Ce livre nous parle de ceux qui sont à la frontière de la folie. Mais si cette frontière n’était pas en eux ? Si il existait réellement des contrées non cartographiées, dans lesquelles certains êtres plus fragiles vont parfois se perdre ?
Le style peut paraître déroutant : les phrases sont courtes, les constructions familières et la narration passe de façon anarchique du présent à l’imparfait. Mais c’est Savini qui vous parle, qui vous chuchote avec ses mots l’aventure incroyable qu’il a vécue. Et l’on se prend de tendresse pour cet homme qui pense que les villes sont des décors de carton-pâte, que des hommes vivent dans les robinets, que les rats sont des Mongols oubliés et que les femmes se changent en coqs ou en locomotives.

Ce roman a été adapté au cinéma en 1990 par Federico Fellini. Ce fut la dernière œuvre du maestro. En parlant de ce livre, il disait : “ Ce que j'ai appris, ce que j'ai retiré de ce livre, en plus du plaisir de la lecture ? Des personnages, des situations, mais surtout une vibration, une sonorité, une couleur, un décalage, quelque chose d'oblique, de contradictoire et de continuellement imprévisible qui, désormais appartient au quotidien le plus banal ; en somme, à notre vie de tous les jours.

Laurence

Extrait :

Je lui ai exposé ma façon de voir. Je crois que ces individus à part habitent en fait tout près des terres que nous essayons de découvrir, c'est-à-dire à leurs frontières, même si elles nous sont invisibles. En somme ce sont comme des apatrides : personne n'en veut et ils se déplacent sans cesse d'un pays à un autre, parce qu'ils n'ont pas de domicile fixe. Et même lorsqu'ils font halte quelque part, ils restent des apatrides car c'est comme si la frontière se déplaçait avec eux, comme s'ils l'emmenaient dans leurs bagages. Ils sont donc sans patrie, avec toutes les conséquences que cela implique : ils perdent l'usage du langage, par exemple, ou bien ils font un salmigondis de toutes sortes de langues diverses.
Le préfet écoutait avec beaucoup d'attention.
J'ai alors développé un peu plus ma théorie. Le parler confus à cause duquel on se moque de ces faibles d'esprit a justement pour origine le mélange de tous les dialectes qu'ils sont amenés à entendre, vivant comme ils le font à cheval sur la frontière. C'est ça qui leur brouille les idées et leur fait adopter des habitudes parfois un peu exotiques et étranges.


Éditions P.O.L. – 376 pages