Ce livre nous raconte 24 heures d'un homme réalisant qu'il ne faisait que survivre et qui décide de renouer avec ce qu'il a toujours été : un grand musicien. Mais on ne rompt pas aussi facilement avec son présent.
L'écriture est comme le ressac de la mer ou une bonne vodka : hypnotisante et enivrante. Christian Gailly improvise sur le thème classique de la rupture, mais les envolées de ses mots nous laissent entendre une histoire à la fois déchirante et pleine d'espoir.
En nous dévoilant les pensées de chacun des personnages, il nous laisse percevoir la tempête qui se prépare, de plus en plus menaçante au fil des pages.
A lire en écoutant un bon disque de Jazz.
Extrait :
“Il était 22 h 20. Mais l'idée de s'en aller sans avoir touché à ce piano le rendait malade. Il voulait jouer. En même temps se sentait incapable d'imiter son imitateur, de revenir au niveau, tout de suite, maintenant, de ce jeune brillant jazzman. Je suis trop vieux, pensa-t-il.
Dépassé, c'est bien ça. Son fils déjà le dépas¬sait sur bien des plans. Ça n'a rien à voir mais quand même. Dépassé par un jeune qui avait tout assimilé de son jeu et qui maintenant jouait mieux que lui. Mieux, mieux, qu'est-ce que ça veut dire, jouer mieux ? pensa-t-il. Non, il ne s'agit pas de ça.
Simon brûlait de toucher à ce piano pour faire entendre ce qu'un style a d'inimitable. Autrement dit et j'en aurai fini avec Simon et la question du style, il voulait croire qu'après dix ans de silence total il pouvait encore jouer comme personne jamais ne jouera.
La vodka circulait dans son cerveau. La vodka faisait fonctionner son cerveau. Son cerveau fonctionnait comme il n'avait pas fonctionné depuis au moins dix ans. Pas mieux ni plus mal, autrement. Plus librement peut-être. Son coeur aussi battait différemment.
Il soupira, frissonna puis se mit à trembler. Sa décision était prise. Il sut qu'il allait y aller, y toucher à ce piano, s'en emparer. Il était 22 h 30.”
Éditions de Minuit - 174 pages
Commentaires
vendredi 7 octobre 2005 à 10h48
Je tiens tout spécialement à remercier Hélène de m'avoir conseillé cette lecture.
vendredi 7 octobre 2005 à 15h46
Voilà. J'ai rectifié le lien. Merci de me l'avoir signalé...
samedi 8 octobre 2005 à 11h43
Un ami m'avait offert ce livre et il s'en était suivi une discussion intéressante autour du thème des passions, des décisions et des faiblesses des personnages (qui finalement cèdent à leurs passions après de longues années de réflexions quant à leur retraite).
Il m'avait offert en même temps "Dialogue avec mon jardinier", de Henri Cueco...
samedi 8 octobre 2005 à 13h31
Salut Hoenir
Je suis d'accord avec toi, la lecture de ce livre soulève beaucoup de questions sur la façon de gérer notre vie. Mais est-ce de la faiblesse que de renouer avec sa passion au risque d'en pâtir plutôt que de survivre en ayant une vie bien rangée? Personnellement je n'ai pas de réponse, si ce n'est que l'on a qu'une vie et qu'il faut la vivre pleinement.
samedi 8 octobre 2005 à 13h47
On peut même pousser le raisonnement un peu plus loin en soutenant que renouer avec ses passions et choisir de vivre pleinement sa propre vie, de profiter de ses pour et de faire au mieux avec ses contre (en tâchant de ne pas ressombrer dans l'alcoolisme tout de même) est tout sauf une preuve de faiblesse.
mercredi 28 mai 2008 à 16h50
Quelqun aurait-il dans ses vieux tiroirs une analyse de ce livre? Je suis fort intéressé!
jeudi 29 mai 2008 à 08h16
Douw : je ne crois pas que ce soit ici que tu trouveras l'objet de ta requête.
mercredi 17 février 2010 à 18h26
Ah ! un Christian Gailly ! Je tiens cet auteur pour un des très bons de chez Minuit.
Issu du courant minimaliste, il fait partie du groupe des éditions de Minuit auquel appartiennent entre autres Jean Echenoz et Christian Oster, deux autres auteurs qui méritent largement aussi d'être chroniqués ici...
mercredi 24 février 2010 à 13h42
Alice-Ange : Décidément, tu as fureté dans les archives du blog
Je n'ai lu aucun des deux auteurs que tu cites, mais je compte bien sur toi pour me donner envie. 
mercredi 24 février 2010 à 14h58
Alice-Ange: je te recommande le "Ravel" de Jean Echenoz. Avecle boléro qu'il lui taille, on comprend mieux et on apprécie d'autant sa musique.