On retrouve Rosa, trente ans après, dans une maison de retraite sordide en Floride, abandonnée de sa seule famille, sa nièce Stella, l'Ange de la mort. C'est le duel entre les deux femmes, une qui ne peut rien oublier, tant ses souvenirs sont ancrés dans sa chair et l'autre qui lui commande de tout oublier. Comme si un passage en enfer, dans l'horreur absolue pouvait s'oublier.
Mais un jour, Rosa reçoit le châle, sa relique, son dernier lien avec son enfant perdue. Alors Magda renaît : elle devient une belle jeune fille écoutant le cri de sa mère. Rosa ne peut se résoudre à oublier et à devenir comme ces retraités aisés qui se dorent au soleil de Floride, vides et secs comme des momies. Il lui faut aussi se défendre contre les pseudo scientifiques qui veulent ériger les survivants de l'holocauste en sujet d'étude, des cobayes. "Survivants", comme si on pouvait survivre.

Pour moi, Le châle est comme la petite écharde dans le doigt qui nous empêche d'oublier cette horreur absolue, l'innommable. Le talent de Ozick a été de ne pas s'appesantir sur la vie dans les camps - tout est dit avec des mots choisis, des scalpels qui vous obligent à prendre conscience d'une réalité - et de traiter de "la vie après". Quel après ? Un après est-il possible ?
La tentation est grande de fermer ce livre avant la fin tant les mots sont durs, incandescents. Il faut lire ce livre, aller jusqu'au bout. Pour la plume d'Ozick, la sobriété de ce récit, pour Rosa et Magda.

Dédale

Extraits :

... Rosa ne sentait pas la faim ; elle se sentait légère, non pas de la légèreté d'une personne qui marche, mais de celle d'une personne qui s'évanouit, qui entre en transe, suspendue dans une convulsion, devenue déjà un ange flottant, la conscience en éveil et voyant tout, mais en l'air, pas vraiment là, ne touchant pas la route. ...Elle regardait le visage de Magda par une ouverture dans le châle ; écureuil au nid, en sûreté, personne ne pouvait l'atteindre à l'intérieur de la petite maison des replis du châle. Le visage, très rond, un visage en miroir de poche : mais ce n'était pas le teint blême de Rosa, sombre comme le choléra, c'était un tout autre genre de visage, les yeux bleus comme l'air, un doux plumetis de cheveux presque aussi jaunes que l'étoile cousue sur le manteau de Rosa. on aurait pu croire que c'était un de leurs bébés à eux. [...]

Rosa savait ce qu'il y avait dans ce paquet. Elle avait demandé à Stella de l'envoyer ; Stella ne faisait pas facilement ce que Rosa demandait. Elle vit immédiatement que le paquet n'était pas recommandé. Cela la mit en colère : Stella Ange de la Mort ! Aussitôt elle retira le paquet du chariot, en déchira l'emballage qu'elle froissa pour le jeter dans un cendrier en pied. Le châle de Magda ! Imaginons, ce qu'à Dieu ne plaise, qu'il se soit égaré dans le courrier, que serait-il passé ? Elle pressa la boîte contre sa poitrine. C'était dur, lourd ; Stella l'avait entouré d'une croûte terrible sans rien de tendre ; Stella l'avait transformé en pierre. Elle voulait l'embrasser, mais le maelström était tout autour d'elle, pressant en direction de la salle à manger....

le châle< br/> Éditions de l'Olivier - 92 pages