Dans un monde futur, et bizarrement de moins en moins lointain, le malheur n'existe plus. Tout le monde est heureux et conditionné pour l'être depuis la naissance. Dans cette société, tous les embryons se développent dans des bocaux et sont suivis médicalement pour les préparer à leur fonctions futures. Les Gammas, par exemple, caste la plus basse de la société, sont privés d'oxygène pendant leur vie prénatale. Ainsi, ils pourront effectuer les tâches les plus viles sans jamais en ressentir de frustrations.
Plus tard, tous les enfants subissent les messages hypnopédiques, véritables lavages de cerveau qui assurent la Stabilité du peuple. Chacun a une place et est heureux de l'occuper. De toute façon, si vous éprouvez la moindre sensation désagréable, un gramme de Soma "vous rend content". Mais peut-on réellement être heureux dans une société qui vous prive de tout risque ? De tout sentiment violent, positif ou négatif ? C'est tout le sujet de ce roman.

Cela peut paraître étrange, mais moi l'amoureuse de fantastique et d'anticipation, je n'avais jamais lu ce pilier du genre qui sommeillait sur mes étagères depuis de nombreuses années. C'est avec fascination et horreur que je l'ai découvert cette semaine. Ce qui m'a le plus effrayé, ce n'est pas tant le conditionnement, le soma (sorte d'antidépresseur) ou même le clonage. Non, ce qui m'a le plus effrayé, c'est la tiédeur qu'impose le bonheur. Les sentiments trop violents sont bannis car ils sont dangereux pour la Stabilité si chère à Ford. Tous les sentiments violents. La haine et la colère bien sûr, mais aussi l'amour : le "grand amour", l'amour maternel, l'amour de l'art ou des sciences. Tous ces amours sont vus comme subversifs car source de conflit, de jalousie, de passion, de curiosité... Les êtres sont donc prisonniers d'un succédané infantile et stérile. Le concept même de famille ou de couple est devenu grossier, voir obscène. Et comme le dit si bien l'Administrateur "le bonheur est toujours médiocre".
A la périphérie de cette société médiocrement heureuse, il existe une "réserve" emplie d'hommes et de femmes "non civilisés". Parmi eux, un jeune garçon né de l'union de deux civilisés. Le sauvage, comme ils l'appellent, va tenter de s'adapter à la société moderne. Bien évidemment, sa quête va se solder par un échec.

Il y a quelques mois, Shakti posait la question suivante sur son blog : "Et si la Vie n'était que Bonheur, facilité... etc ! Comment réagirions-nous???". Je lui avais répondu que si nous ne connaissions pas le malheur, nous ne saurions apprécier le bonheur à sa juste valeur. Pendant la lecture d'Un monde meilleur, j'ai repensé à ce post. Aujourd'hui, j'en suis d'autant plus convaincue, car pour connaître un bonheur sans faille, il faudrait se priver de moments de joie intense, trop dangereux pour un bonheur équilibré.
Ne m'enlevez pas mes soucis, mes tracas, mes difficultés car je refuse la médiocrité et je veux continuer d'aimer follement et déraisonnablement.

Dans le même esprit, voir Un bonheur insoutenable de Ira Levin

Extrait :

"-Quelle est la leçon cet après-midi? demanda-t-il.
- Nous avons fait du Sexe Élémentaire pendant les quarante premières minutes, répondit-elle. Mais maintenant, on a réglé l'appareil sur le cours élémentaire des Sentiment des Classes Sociales.
Le Directeur parcourut lentement la longue file des petits lits. Roses et détendus par le sommeil, quatre-vingts petits garçon et petites filles étaient étendus, respirant doucement. Il sortait un chuchotement de sous chaque oreiller. Le D.I.C. s'arrêta et, se penchant sur l'un des petits lits, écouta attentivement. [...]
« ... sont tous vêtus de vert. » dit une voix douce mais fort distincte commençant au milieu d'une phrase, « et les enfants Deltas sont vêtus de kaki. Oh, non, je ne veux pas jouer avec des enfants Deltas. Et les Epsilons sont encore pires. Ils sont trop bêtes pour savoir lire ou écrire. Et puis, ils sont vêtus de noir, ce qui est une couleur ignoble. Comme je suis content d'être un Bêta. »
Il y eu une pause; puis la voix repris :
« Les enfants Alphas sont vêtus de gris. Ils travaillent beaucoup plus durs que nous, parce qu'ils sont formidablement intelligents. Vraiment, je suis joliment content d'être un Bêta, parce que je ne travaille pas si dur. Et puis, nous sommes bien supérieurs aux Gammas et aux Deltas. Les Gammas sont bêtes. Ils sont tous vêtus de vert, et les enfants Deltas sont vêtus de kaki. Oh, non, je ne veux pas jouer avec des enfants Deltas. Et les Epsilons sont encore pires. Ils sont trop bêtes pour savoir ... »
Le Directeur remit l'interrupteur dans sa position primitive. La voix se tut. Ce ne fut plus que son grêle fantôme qui continua à marmotter de sous les quatre-vingts oreillers.
- Ils entendront cela répété encore quarante ou cinquante fois avant de se réveiller; puis, de nouveau , jeudi; et samedi, de même. Cent vint fois, trois fois par semaine, pendant trente mois. Après quoi, ils passeront à une leçon plus avancée."

le meilleur des mondes
Éditions Pocket - 284 pages