Ah ! Elle en a beaucoup à dire, plutôt à râler, cette enquiquineuse sexagénaire. D'où, cette insolite promenade dans la vie après la vie, où nous l'accompagnons de sa crémation à sa réincarnation. Treize années où elle se remémore sa vie pour la vomir à nouveau ; treize années aussi, pour s'apercevoir que même chez les morts, la hiérarchie existe et qu'elle devra se contenter d'un sous-sol miteux, dans un quartier malfamé, pour égrener son ressentiment, et se consoler en fumant cent quarante cigarettes par jour, sans crainte d'avoir le cancer du poumon.
Joyeusement entourée dans l'intimité de son home crasseux, du bourg de Dulston, par un foetus fossilisé calciné (le lithopédion Lithy), son fils Rude Boy (mortellement heurté par une voiture) et les Graisses (trois magmas adipeux formés de cellulite juvénile représentant ses innombrables régimes).
Pour son plus grand malheur, Lily, adepte insatiable du sexe et de la nourriture, devra ronger son frein : dans l'après-vie les âmes errantes ne sentent plus le toucher, et par ailleurs la nourriture est mastiquée et jetée dans un seau, les corps subtils ne pouvant avaler quoi que ce soit. Lily, femme d'un poids avantageux, dirons-nous pour rester dans les normes de la délicatesse, a passé sa vie dans les diètes inabouties et les renflements de sa graisse. Elle a mangé tant et tant, en fait, que cette femme a tout dégluti: ses émotions, ses malheurs, ses inquiétudes, ses désastres, ses hommes, ses ressentiments, son judaïsme, sa famille, son psychanalyste, ses médecins, la société pour les vomir dans une escalade vertigineuse d'imprécations.
Lily Bloom, cette Juive américaine, n'a rien à envier à Job vociférant sur son fumier. « Cloué soit le Seigneur », se plaît-elle à dire irrévérencieusement.
Tragédienne à ses heures, et les heures furent nombreuses, arrogante virtuose en permanence, Lily Bloom s'est maintenue en vie par un régime inlassable d'anathèmes lancés contre son pays d'accueil, la terre pourrie d'Angleterre, et plus particulièrement Londres, la cité poubelle, où les immondices ne se retrouvent pas à la décharge publique. Lily a une haine viscérale pour les Anglais, ces nauséabonds cadavres ambulants.
Rien n'échappe à sa hargne qui se dandine dans une jalousie hors du commun: Lily Bloom aurait désiré tout bêtement ne pas être Lily Bloom. Besoin immodéré d'être aimée, d'être enlacée, de n'être exclue de quoi que ce soit.
Un vrai bonbon au poivre.
Tout y passe, les bourgeois, les juifs, les jeunes, les vieux, les gros, les maigres. Tout le monde en prend pour son grade. Lily en veut à tout le monde, déteste tout le monde et surtout elle-même.
Un regard assez satirique sur la société en générale et anglaise en particulier. Malgré le ton monotone dû au fait que l'on regarde la vie depuis la mort et surtout la monotonie de la mort, j'ai lu ce roman quasi d'une traite (faut dire que mon voyage dans les Vosges avec ses 6 heures de train m'ont bien aidé, un livre à l'aller, un au retour). Elle est tellement...méchante envers l'humanité qu'elle en devient touchante, cette satanée Lily Bloom.
Par Arsenik_
Extraits :
Pauvre Lily. Pauvre vieille grosse Lily, pauvre pépée poussive devenue massive mémé, pathétique grisette mal dégrisée. Quelle tristesse que ses quinze dernières années, avec sa manie de ramasser les déchets - boites en fer-blanc, papiers gras, paquets de cigarettes, n'importe quoi - pour les cacher sur sa personne, les fourrer dans ses poches de son manteau ou même dans son sac à main et les emporter avec elle, clopin-clopan, jusqu'à son domicile, du moment qu'ils aillent rejoindre leurs semblables.
... ...
Je suppose que vous avez déjà assisté vous-même à quelques réunions de Personnellement Morts mais, si je devais décrire ces gens je dirais que ... eh bien, que c'était tout à fait le genre de personne qu'on s'attend à rencontrer dans ce genre d'assemblées - ces rendez-vous ambigus organisés dans des locaux anonymes par des éminences grises.
Éditions de L'Olivier - 448 pages
Commentaires
mercredi 23 novembre 2005 à 14h37
Eh ben, çà promet. En résumé, faut pas pousser Mémé dans le Styx
Ok, c'est nul. Je retourne bosser.
@+
jeudi 24 novembre 2005 à 01h09
On est heureux de savoir que ça ne peut QUE se passer en Angleterre et que ce livre décrit LA société anglaise... Vous me faites peur!!! Qui a dit le tunnel????
L'article me donne envie de lire ce book, mais j'ai peur de me lasser vite. J'aime pas trop le cynisme de longue haleine.
mardi 29 novembre 2005 à 09h17
Waouh, je ne comprends pas comment on peuts écrire aussi bien et rester méconnu, parce que moi je ne le connais pas..
mardi 11 juillet 2006 à 16h35
Je trouvais le résumé génial, on m'avait fait l'éloge de ce bouquin, je tombe dessus par hasard à la bibliothèque...et pourtant... j'ai pas accroché du tout!
j'ai lu quinze pages et j'ai rammené l'ouvrage, déçue...
alors faut que j'arrête avec tous mes aprioris littéraires dans le bon et dans le mauvais sens. pour moi lire un bouquin c'est d'abord penser ce livre, se renseigner. aucune spontanéité!! beaucoup d'idées reçues. c'est bien dommage...
mardi 11 juillet 2006 à 16h57
Bonjour Louise

bienvenue en ce lieu. Ah, le difficile choix d'un livre... Finalement, je dois avouer que paradoxalement, je suis très peu les avis des autres quand je dois acheter ou emprunter un livre. Je déambule entre les rayons et me laisse séduire par une couverture ou un titre. Bien souvent, je ne sais même que très vaguement de quoi parle le roman. J'ai ainsi fait de très belle découverte. Quant à "Ainsi vivent les morts" de Will Self, je n'ai pas encore eu l'occasion de le lire depuis que Ars' en avait fait la critique ici.
lundi 30 juillet 2007 à 16h45
Bonjour Lily,
C'est vrai Lily tu es une chieuse, une grande emmerdante mais j'aime ton personnage. Je t'aime dans un livre mais te supporter en face à face cela pourrait certainement être très difficile.
Cela a été un grand plaisir de cotoyer Lily mourante, en morte beaucoup moins agréable mais l'écriture toujours aussi merveilleuse.
Un grand coup de chapeau au traducteur