Augusten a onze ans au début du récit. Il assiste aux disputes violentes qui opposent ses parents. Le père, ivre les trois quart du temps, finit par quitter définitivement la maison. La mère, persuadée d'être une grande poétesse, se confie quotidiennement à son psychiatre, un dénommé Dr Finch. Convaincue que son fils ne fait que l'opprimer, elle l'envoie vivre chez le dit psy.
Mais c'est un psychiatre très particulier.... Chez lui, chacun est libre de vivre comme il l'entend. La maison est un capharnaüm sans nom, où il est de bon ton de féliciter le plus jeune des enfants quand il défèque sous le piano. Les vieilles carcasses de poulet côtoient les moutons de poussières par milliers ou les fringues sales amoncelées. A chaque doute, la famille cherche des réponses dans la bible ouverte au hasard ou dans les étrons du cher professeur. Quant à l'éducation proprement dite, une seule règle régit le foyer : à partir de 11/12 ans, un enfant est en capacité de savoir ce qui est bon pour lui et il ne faut surtout pas aller à l'encontre de ses décisions.

Cela aurait pu être "hilarant", comme l'avait écrit le Times, si..... Si l'écriture était suffisamment enlevée et travaillée pour rendre ces scènes cocasses, si l'auteur avait assez de recul pour pouvoir analyser cette période, si certains passages n'étaient pas à la limite du soutenable.
Car, selon le docteur Finch, ne pas contrarier les décisions d'un adolescent, c'est aussi l'encourager dans ses relations sexuelles avec un jeune homme de 35 ans, c'est vendre sa fille de 14 ans au plus offrant, c'est aider Augusten à se suicider puis à se faire interner pour qu'il n'aille plus au collège... Sincèrement, j'ai chercher ce qui pouvait être "hilarant" dans ce récit, et je n'ai trouvé que dégoût et colère. Ce livre est absolument affligeant, et je n'avais pas besoin de ces trois cents pages pour savoir qu'un enfant/adolescent doit grandir avec des repères dans un milieu structuré. Bien sûr, certains y trouveront leur compte, notamment tous ceux qui sont attirés par les biographies de stars où le l'abject prime sur la forme et le fond. Pour moi, ce fut une grande déception. Je mets volontairement en extrait un passage qui m'a particulièrement écoeurée. Augusten a 11 ans, il vient de prendre conscience qu'il est homosexuel et, plein de timidité et d'appréhension, a déclaré sa flamme à Neil Bookman, 35 ans. Âme sensible s'abstenir.

Extrait :

Je suis allongé sur le lit de Neil, le haut de mon crâne cogne contre la tête du lit parce que la queue de Neil est inexplicablement enfoncée dans ma gorge. Ses photos - ce pour quoi je suis venu dans sa chambre au premier chef - glissent et tombent par terre. J'entends le bruit de leur chute sur le plancher. Une légèreté de feuille morte. Tout ce que je vois, c'est un triangle de poils noirs qui approche de moi. Ça, accompagné de la sensation sans précédent que ma gorge est pleine. C'est dur de respirer. L'air entre dans mes narines par à-coups qui semblent contrôlés par les mouvements de bassins de Neil. Son bassins pousse vers l'avant, j'ai de l'air. L'air ressort par ma bouche, se faufilant tant bien que mal autour de la hampe de sa queue.
- Oui! Oui! Putain! éructe-t-il. Putain de salope!
Le triangle de poils avance sur moi, recule, avance, recule, avance, recule, avance, recule.
J'ai les bras écartés, cloués au matelas par les mains de Neil. Je dois ressembler à Jésus sur la croix. Cette image me passe vraiment par l'esprit. Je songe aussi : Ce n'est pas pour ça que je suis venu ici.
Ça continue. Les poussée du bassin, l'aspiration d'air au petit bonheur la chance par les narines, le bruit répugnant que ça fait quand il sort de a bouche, l'exhalation humide.
- Espèce d'enculé! lâche Bookman, comme s'il arrachait à pleine bouche ce mot à l'air ambiant, comme s'il déchirait d'un coup de dent un morceau de quelque chose, un morceau de viande.
Il sent bizarre. Presque comme une odeur de nourriture, comme une odeur qu'on peut manger. Bon, je suppose que c'est ce que je fais. Je la bouffe. Mais ça ne ressemble à aucune nourriture que je connais. Un genre de fromage, peut-être? Mais en plus sombre, plus tiède, plus douceâtre.
Ma tête me fait un mal de chien. Elle n'arrête pas de cogner, cogner, cogner, contre la tête du lit qui, elle-même, percute le mur. On fait un sacré raffut.
Mes yeux sont embués de larmes, maintenant.
Jamais ma bouche n'a été aussi grande ouverte. C'est embarrassant. Je me demande de quoi j'ai l'air, avec cette bouche béante et ces yeux larmoyants. Je sens ma salive dégouliner en ruisselets le long de mon cou, et j'ai envie de les essuyer, mais je ne peux pas bouger mes mains et mes bras.[etc...]

courir avec des ciseaux
Éditions Passage du Marais - 289 pages