Hercule a dix ans. Il vit dans la campagne française des années 60. Il occupe son temps entre l'école, la maison et les instants de liberté avec son copain Laclope. Tous deux s'inventent des histoires extraordinaires et s'autoproclament membres de la tribu indienne des Pieds Bleus. Entre farces et punitions, les deux garçons apprennent à grandir.
Ce livre pourrait se résumer ainsi. Pourtant, dès les premières lignes on comprend que ce récit va nous raconter tout autre chose.

Quand j'évoque les albums jeunesses de Claude Ponti, je pense immédiatement à l'humour, la poésie des mots et la violence imaginaire de ses monstres résolument incrédibles. Car c'est ce qui plaît aux enfants. Les monstres de ses histoires sont tellement étrangers à notre réalité, que les enfants s'amusent à avoir peur, comprenant bien que ces effrayantes bestioles n'existeront jamais qu'entre les pages de leurs livres.
Dans "Les Pieds Bleus", on retrouve la poésie de Claude Ponti, bouleversante et foudroyante. Elle prend ses aises. Dans les albums, elle est concentrée, étriquée pour les besoins du public. Ici elle prend toute sa dimension, s'étale, s'envole. Mais on découvre aussi une violence toute différente, ancrée au réel, quotidienne et banalisée. Claude Ponti nous parle de la violence la plus sournoise et la plus intolérable : celle faite aux enfants, maltraités par leur propre famille.
Comment grandir au milieu de l'ignorance affective et des coups? Comment trouver un refuge quand le maître reproduit les schémas familiaux?
Hercule et Laclope ont construit leur survie dans l'imaginaire. La tribu des Pieds Bleus leur permet de s'échapper de la triste réalité. Mais leurs jeux d'enfants vont réveiller les fantômes des adultes.

Un très beau récit, violent, émouvant et drôle malgré tout. Je viens d'apprendre que Claude Ponti a également publié "Est-ce qu'hier n'est pas fini ?" aux éditions de l'Olivier. Si j'ai bien compris, le jeune Victor, héros de ce second roman, a quelques cicatrices en commun avec Hercule. Ce genre de blessures doit trouver des racines dans le coeur de l'auteur pour qu'elles soient récurrentes. Cela explique peut-être un peu mieux l'univers des livres pour enfants de Claude Ponti.

Extrait :

"Mon frère dort. Il a disparu petit à petit. Il ne reste que sa respiration. Encore une fois, je m'accroche à elle. Quand il dort, il se transforme en machine à retenir le monde. C'est un gros travail pour que rien ne bouge. Sinon, les murs tombent, les choses basculent, deviennent floues. Parfois, je peux passer au travers, m'enfoncer dans mon lit, sans pouvoir m'en empêcher.
Il fait ça avec sa respiration. C'est lui qui durcit les os du monde, lui qui lutte contre le voleur de squelettes. En dormant, il empêche le plancher de devenir un marais de sables mouvants. Et mon lit de devenir liquide. Les choses ont des os. Et aussi des racines, loin, au-dehors d'elles, entortillées à l'intérieur des autres. C'est mélangé, quand ça se ramollit à un endroit, ça finit par se ramollir partout. Et moi, je ne fais plus que m'enfoncer dans la bouillie.
Ce soir, le monde tient. Je regarde la raie de lumière sous la porte de la chambre. Je ferme lentement les yeux jusqu'à ce que la lumière ne fasse plus qu'un point, je laisse mes paupières tremblotter et je recommence en réduisant le point le plus possible."

les pieds bleus
Éditions Points - 253 pages

Du même auteur : Le monde et inversement, L'île des Zertes