Dans "Face aux ténèbres", William Styron autopsie le cadavre de sa maladie. Il dissèque les différentes étapes qui ont jalonné sa descente aux enfers : comment les premiers symptômes se sont manifestés; à quel moment il a admis sa maladie; son parcours thérapeutique; son rapport au suicide... et s'il a pu, en 1990 au moment de la parution de ce livre, autopsier ce cadavre, c'est qu'il a réussi à vaincre les ténèbres. Il témoigne donc aussi de son retour dans le monde des vivants : le moment déclencheur, l'incertitude qui accompagne la guérison.
Plusieurs fois, il rappelle que son récit n'a que valeur d'exemple et que la maladie revêt autant d'habits qu'il y a de personnes atteintes. Il est dangereux de faire des généralités : ce qui fonctionnent pour les uns, peut être nocif pour les autres. Il raconte ses journées, les moments où la douleur devient insoutenable. Il parle aussi de ses amis, ceux qui n'ont pas pu ou réussi à affronter ce mal et à en sortir vainqueurs : Romain Gary, Jean Seberg ou encore Primo Levy.
Il explique pourquoi, dans son cas, les médicaments n'ont fait qu'accélérer le processus; pourquoi les psychothérapies n'ont pas été efficaces...
Ce qui est étonnant dans ce récit, c'est la sérénité qui s'en dégage. William Styron se souvient de cette période avec calme, sans les larmoiements auxquels on aurait pu s'attendre dans ce genre de témoignage. Il tente, en toute simplicité, de partager son expérience, de la faire comprendre aux autres, ceux qui ne l'ont pas connue.
Mais il refuse d'attiser la pitié de son lectorat, sentiment humiliant et qui ne fait qu'enfoncer ceux qui souffrent.
L'objectif est atteint. J'ai fermé ce livre avec calme, en ayant la sensation d'avoir mieux compris cette "tempête sous un crâne".
Extrait :
"Comme tous ceux qui ont connu toutes les phases de la maladie, même les plus extrêmes, et pourtant ont émergé pour en faire le récit, je serai enclin à préconiser une formulation saisissante. "Tempête sous une crâne, par exemple, a malheureusement été utilisé pour décrire, de façon plutôt facétieuse, l'inspiration intellectuelle. Mais quelque chose de cet ordre s'impose. Informé que les troubles psychiatriques dont souffre quelqu'un ont dégénéré en tempête - une authentique tempête déchaînée dans le cerveau, car c'est là en réalité ce qu'évoque le plus fidèlement une dépression clinique - même le plus profane serait enclin à manifester de la compassion plutôt que la classique réaction suscitée par le mot "dépression", quelque chose du genre de "Et alors?" ou bien "Vous finirez par vous en sortir". Ou encore "Tout le monde a ses mauvais moments".
Éditions Gallimard - 126 pages
Commentaires
lundi 20 février 2006 à 07h16
Merci pour le lien sur mon blog. J'aime beaucoup votre blog également. Je vous ajoute à mes liens !
jeudi 23 février 2006 à 10h45
"Le choix de Sophie", de William Styron est le livre qui a provoqué le plus d'impacts sur mon émotionnel. Deux pages d'une horreur insoutenable au milieu de 600 pages d'une beauté infinie.
Un choc.
Qui perdure encore aujourd'hui.
(j'ai appelé ma fille Sophie)
vendredi 24 février 2006 à 18h58
Et bien voilà, tu as su trouver les mots pour me convaincre. J'ajoute "Le choix de Sophie" à ma liste déjà trop longue....
samedi 3 juin 2006 à 20h04
j'en suis a la page 348 !! je ne suis pas pressée d'arriver au bout , chaque page est une surprise !
Qui etes vous william styron ? sinon un etre humain dans toute sa sensibilité!!
bravo d'avoir existé et d'avoir écrit !
samedi 15 juillet 2006 à 17h57
Sophie! que de peine on ressent pour toi,je sais que tu ne pourras pas survivre à ce choix horrible que cet immonde gardien détraqué t'a obligé à faire. Ce livre est magnifique et l'histoire de Nathan et Sophie est poignante.
samedi 15 juillet 2006 à 19h30
Il faut vraiment que j'ajoute "Le choix de Sophie" à ma liste pour la bibliothèque, je l'oublie à chaque fois....
mercredi 29 novembre 2006 à 08h51
J'ai eu du mal avec ce livre... Malgré le jargon que je suis sensée connaître, je l'ai trouvé lourd. Pas par le style, mais par les explications qu'il en donne... Court, mais long! :|
vendredi 5 septembre 2008 à 23h21
Enfin quelqu'un pour exprimer ce qu'est la dépression. J'ai eu l'impression que c'était ma dépression qu'il décrivait. Enfin quelqu'un qui a compris. Tout simplement parce qu'il l'a vécue.
merci à ce livre pour l'apaisement qu'il m'a procuré. L'impression d'avoir été comprise soudainement.
jeudi 26 mars 2009 à 00h32
Styron est un grand. Le choix de Sophie était un choc dans ma vie de jeune lecteur. Je n'ai pourtant pas lu celui-là. J'en ai beaucoup entendu parler à l'époque, j'ai vu Styron l'évoquer à la télévision et je ne souhaitais pas entrer dedans. J'avais mal accepté la dépression de mon père... et je suis en plein dedans (ironie du sort). Je vais sans doute y retourner après épuisement de ma pile de livres achetés au salon de Paris. J'avais aimé également "un matin de Virginie" paru après la période dépressive de l'auteur.